1998-2018 : vingt ans d’impunité fasciste à la faculté de droit de Montpellier

Le Poing Publié le 13 avril 2018 à 20:29 (mis à jour le 27 février 2019 à 12:53)
L'intérieur du batîment 1 de la fac de droit de Montpellier. (Image d'illustration/ DR)

Le jeudi 15 janvier 1998, un commando armé de « barres de fer » expulsait violemment une quarantaine d’étudiants de l’université Montpellier 1 (UM1) occupant les bureaux de la présidence. Les étudiants manifestaient leur opposition à la décision du président de l’université, Yves Loubatières, d’attribuer la gestion des cafétérias des facultés de droit et de Richter, jusqu’alors cogérées par des associations étudiantes, à des entreprises privées. Vingt ans plus tard, le jeudi 22 mars 2018, un commando cagoulé, armé « de planches de palettes avec des clous […] et d’un taser » expulse violemment une soixantaine d’étudiants occupant pour la nuit l’amphithéâtre A de la faculté de droit et de science politique de l’université de Montpellier (fusion de l’UM1 et de l’UM2). Ils protestent contre la loi ORE, qui renforce la sélection à l’entrée des études supérieures. Ces deux opérations commandos impliquent directement des membres de l’institution universitaire. Derrière l’image d’une institution d’excellence, la faculté de droit de Montpellier renferme des vieux relents fascistes.

Des agressions commanditées et exécutées par des membres de l’université de Montpellier ?

Nombreux sont les points communs entre l’agression de 1998 et celle de 2018. Le point de départ est identique : des étudiants occupent pacifiquement une petite partie des locaux de l’université. Une situation banale lors des mouvements sociaux étudiants, mais à la faculté de droit de Montpellier, la situation dégénère. En 1998 comme en 2018, les responsables universitaires – respectivement Yves Loubatières, président de l’UM1 et professeur de mathématiques, et Philippe Pétel, doyen de la faculté de droit et de science politique et professeur de droit privé et de sciences criminelles – demandent à la préfecture le recours à la force pour expulser les étudiants. Dans les deux cas, le préfet refuse de faire intervenir la force publique. Légalement, une intervention policière est conditionnée à l’existence d’un trouble à l’ordre public. Saisie le 6 avril 2018 par une requête du syndicat de droite l’UNI, qui réclamait l’intervention de la police pour débloquer la faculté Paris 1, une juge des référés a estimé que l’approche des examens ne constituait pas « une situation d’urgence » justifiant un recours à la « force publique » (Europe 1, 7 avril 2018). En 1998, le recteur de l’académie et chancelier des universités, Jérôme Chapuisat, avait exprimé son opposition à une intervention policière au motif que « les étudiants avaient des intentions pacifiques et qu’il n’était pas opportun de faire intervenir la police » (Midi Libre, 17 janvier 1998). Le président Loubatières était en effet intervenu personnellement, aidé par des professeurs. Vingt ans après, Philippe Pétel se montre lui aussi peu respectueux des règles de droit.

Plusieurs heures avant l’assemblée générale du 21 mars contre la loi ORE, et à la veille de la réunion syndicale du 22 mars, Philippe Pétel envoie un mail à certains de ses collègues : « Si vous avez un moment pour venir assister à cette réunion, n’hésitez pas à venir, nous sommes en droit d’y être et notre présence peut être dissuasive. Au demeurant, ce sera assez amusant à observer ». Avec un millier de personnes présentes, la réunion du 22 mars prend rapidement des airs d’assemblée générale et il est décidé d’occuper l’amphi pour la nuit. Cette occupation surprise agace fortement des étudiants en droit, des professeurs et des personnels de la faculté. Sous les coups de minuit, Philippe Pétel aurait alors ordonné l’ouverture des accès aux agresseurs et sommé les agents de sécurité-incendie de rien faire pour les stopper. Les professeurs de droit Jean-Luc Coronel autoproclamé de Boissezon (histoire du droit), François Vialla (directeur du centre européen d’étude et de recherches droit et santé), Pascal Vielfaure (ancien vice doyen et directeur de l’institut d’histoire du droit) auraient été présents pendant la petite sauterie, ainsi que les doctorants François Demaison, Loïc Seeberger (dit « Montagné du Lac »), Maël Suchon, et Thomas Fontaine. D’autres professeurs auraient assisté à la scène depuis le balcon, comme Katarzyna Blay-Grabarczyk (vice-doyenne de la faculté), et Christine Hugon (directrice du laboratoire de droit privé), qui se veut rassurante sur les agresseurs : « Ils ne frappaient pas sur la tête. S’ils avaient voulu frapper fort à deux, l’étudiant serait inerte. C’étaient des coups qui étaient retenus » (France Info, 30 mars 2018). De son perchoir, pourrait-elle confirmer si le taser utilisé par l’un de ses collègues contre un étudiant est bien le modèle Shocker électrique tazer 250 000 volts ?

Le doctorant en droit administratif et chargé de TD Alexandre Bellotti et la présidente des Z’élus (corporation de droit) Déborah Abellan auraient aussi assisté à la réunion. Dans un premier temps, Déborah Abellan n’a pas hésité à apporter « tout [s]on soutien au doyen Philippe Pétel » en condamnant dans la même temps « toute forme de violence » (Le Point, 27 mars 2018). L’ancien président de cette association étudiante, Favien Linot, aurait été lui aussi présent. La corporation de droit a toujours été un bastion de la droite extrême. En 1998, toutes les associations étudiantes font bloc contre la privatisation des cafétérias « excepté la Corpo Droit » (L’Hérault du jour, 14 janvier 1998). Le dévoué personnel de la faculté ne serait pas en reste : Odette Boscat (secrétaire des services techniques et intérieurs) et son charmant mari (qui surveille les examens) auraient été aperçus en train d’applaudir allègrement les hommes cagoulés à la fin de la représentation. Les appariteurs Robin Marais et M. Guillemars auraient également été vus, ainsi qu’Emile Tedeschi (responsable des services techniques et intérieurs), accusé de faire régner l’omerta au sein du personnel. Jean-Luc Coronel prétend que « les personnes aux visages dissimulés ont fui le hall dans l’extrême confusion de ces instants » (Droit de réponse à Libération, 28 mars 2018). Nous laissons le soin à chacun de visionner la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux (disponible sur la page facebook du Royal Occupé) de cette « extrême confusion » particulièrement bien organisée, de cette célébration honteuse à laquelle ont participé trop de membres de la faculté pour que son image ne soit pas associée à l’agression. Il semblerait même que cette agression ait été envisagée depuis au moins la veille. Des étudiants auraient été rassurés la veille de l’attaque par un membre de l’université qu’en cas de débordements, « les gros bras d’extrême droite viendraient faire le ménage ». Quant à l’implication possible des policiers (L’Humanité, 6 avril 2018), ce serait la cerise sur un gâteau déjà particulièrement indigeste. L’after a dû être sympathique.

La réaction des étudiants : solidaires en 1998, divisés en 2018

Les violences commises contre des étudiants appellent à une réponse forte de la communauté universitaire. Le 16 janvier 1998, près d’un millier d’étudiants manifestaient dans les rues pour dénoncer l’attaque et exiger la démission du président Loubatières. La mobilisation touchait l’intégralité des campus de la ville et a duré plusieurs mois. Le 23 mars 2018, un nombre similaire d’étudiants se rassemblent devant la faculté de droit et de science politique. Le 24 mars 2018, Philippe Pétel démissionne du poste de doyen. Le président de l’université Philippe Augé annonce la fermeture administrative de la faculté, qui durera jusqu’au 3 avril 2018, et nomme un administrateur provisoire, Bruno Fabre. Tout irait donc dans le bon sens ? Pas vraiment. Le 26 mars 2018, plusieurs centaines d’étudiants de la faculté se rassemblent à l’appel d’un événement relayé par la page facebook « Je suis Pétel » pour exiger la fin d’un blocage qui n’a jamais eu lieu. La scène, déjà saisissante, en devient incroyable lorsque se confondent le slogan « libérez ma fac » et les affichages de soutien au doyen Philippe Pétel et au professeur Jean-Luc Coronel. Ce rassemblement a lieu devant ce même volet métallique qui s’est froidement refermé sur les jambes d’une étudiante en sang. En première ligne de ce rassemblement, faisant face et menaçant la petite centaine d’étudiants de la faculté ayant appelé à un contre-rassemblement de soutien aux victimes, se trouvent des militants des groupuscules fascistes de Génération identitaire et de la Ligue du Midi (Rapports de Force, 1er avril 2018). La tension ne redescend pas. Le mercredi 28 mars 2018, une « marche pour la justice, contre les agresseurs et leurs complices » est organisée par le comité de mobilisation de la faculté. Environ 500 étudiants défilent, dont une bonne moitié d’étudiants de l’université université Paul Valéry, en lutte depuis plusieurs semaines contre la loi ORE.

Le vendredi 30 mars 2018, des étudiants remettent au président Philippe Augé des demandes de mesures conservatoires afin de permettre la reprise des cours dans la sécurité. Parmi ces demandes figure la suspension provisoire des personnels de l’université ayant activement ou passivement participé à l’agression armée. Les étudiants ont aussi formulé leur crainte de devoir montrer leur carte d’étudiant aux agents de sécurité incendie de l’entreprise privée GIP, la même qui devait assurer leur sécurité le 22 mars 2018. Ces demandes minimales sont restées lettre morte et la faculté a rouvert ses portes dans le mépris le plus total des étudiants agressés, des témoins, de ceux qui les soutiennent et de certains membres de l’université qui ne sont pas impliqués dans cette agression, mais qui n’en sont pas moins choqués. L’administration de la faculté a permis de fait un retour à la normale pour les agresseurs et leurs complices. Les étudiants agressés et leurs soutiens ont été lynchés sur les réseaux sociaux et harcelés dans les couloirs de la faculté de droit, en public, et en cours. Cette réaction d’hostilité n’existait pas en 1998. Il y a vingt ans, il était normal pour l’ensemble des étudiants d’être outrés par les violences commises au sein de l’université par des membres de celle-ci. Il était normal d’afficher un soutien aux victimes par divers actes de solidarité. Il était normal de réagir face à l’inacceptable. Malgré le silence de la Corpo Droit et l’indécence de l’UNI, qui avait exigé, en 1998, de « remplacer dans les plus brefs délais M. Chapuisat » (Midi Libre, 24 janvier 1998), le recteur ayant témoigné sa solidarité avec les étudiants (La Gazette, 23 janvier 1998), l’ensemble de la communauté universitaire condamnait d’une même voix les violences. Il n’y avait pas eu de contre-manifestation pour défendre tel ou tel acteur ou complice de l’agression. Il n’y avait pas eu un tel mépris et une telle violence symbolique, verbale et physique à l’encontre des étudiants agressés et de leurs soutiens, comme cela a été le cas en 2018.

Les réactions institutionnelles : entre condamnation officielle et silence complice

Les différences dans les réactions du corps institutionnel et professoral sont tout aussi troublantes. En 1998, les personnels universitaires se sont saisis très vite de l’affaire. Les propos du recteur Jérôme Chapuisat étaient clairs : « On ne peut imaginer que des enseignants et des responsables d’université utilisent la violence physique contre des étudiants. Je n’ai jamais vu ça et je regrette de le voir après vingt-cinq ans de vie universitaire » (Midi Libre, 17 janvier 1998). Le syndicat des enseignants du supérieur, le Snesup, dénonçait quant à lui « l’irresponsabilité et la profonde gravité du recours à de telles méthodes » (Midi Libre, 17 janvier 1998). De son côté, le conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) adoptait à l’unanimité le 19 janvier 1998 une motion à l’unanimité proclamant « sa réprobation la plus vive face aux violences exercées à l’encontre des étudiants de l’Université Montpellier I, par des personnes relevant de l’autorité du président de l’université, lui-même étant présent ». Le professeur de droit constitutionnel et ancien doyen de la faculté de droit Paul Alliès jugeait l’agression « inadmissible » et affirmait qu’on ne trouvait trace « d’exemple de ce type en France depuis 1968 ». Il soulignait enfin qu’il ne s’agissait pas là « d’un premier incident, mais d’une trop longue série » (L’Hérault du Jour, 20 janvier 1998). Moins d’une semaine après l’agression, le 21 janvier 1998, l’Hérault du Jour titrait : « Montpellier I : les langues se délient ». Réunis dans un amphithéâtre de la faculté de droit, les professeurs de plusieurs campus étaient sortis, quasiment immédiatement, de leur réserve : « Nous partageons la réprobation exprimée par le recteur, et condamnons formellement cet événement qui ne saurait rester sans suite », assènait le professeur Michel Miaille (Midi Libre, 21 janvier 1998). Un comité de vigilance contre les violences (verbales et physiques) à l’université Montpellier 1 était mis en place, notamment pour réclamer la suspension de M. Loubatières « provisoirement, le temps que l’enquête sur les incidents aboutisse » (Midi Libre, 21 janvier 1998). Moins d’une semaine après l’agression, la presse ironisait sur le fait qu’« Yves Loubatières semble enfin avoir réussi à fédérer l’ensemble des composantes de son université »… contre lui (L’Hérault du jour, 21 janvier 1998). La fédération de l’éducation nationale (FEN) manifestait aussi son soutien aux étudiants : « les étudiants occupent pacifiquement les locaux du boulevard Henry IV dans l’espoir d’être entendus. Que nenni ! Monsieur le président voit rouge, des manants veulent occuper le château ! se produit alors l’incroyable où l’on voit le président, contre l’avis du recteur et du préfet, faire appel à des gros bras […] le président doit tirer toutes les conséquences […] les étudiants le lui demandent. La FEN les approuve » (L’Hérault du Jour, 22 janvier 1998). Même ceux qui étaient réservés dans un premier temps se sont rangés du côté des étudiants. La Gazette relevait ainsi que si « Yves Loubatières pouvait encore compter ces derniers temps sur l’appui du Doyen de la Faculté de droit, Olivier Dugrip, il semble que ce dernier commence à prendre ses distances » (La Gazette, 22 mars 1998). Le doyen Dugrip reconnaissait en effet qu’en cas de faute, il appartenait aux autorités compétentes de « sanctionner le coupable quel qu’il soit » (La Gazette, 22 mars 1998). Il en allait de même pour les huit doyens de l’université de Montpellier qui, dans leur communiqué, mettaient en avant la nécessité que « les lois de la République s’appliquent » car « l’intérêt général doit primer » (Midi Libre du 23 janvier 1998). Les condamnations de l’agression s’étaient exprimées sans ambages et sans que l’on se demande s’il fallait ménager telle ou telle personne au sein de l’université, alors même que certains d’entre eux n’avaient pas caché leur critique à l’égard du refus du préfet d’ordonner une expulsion policière (Midi Libre, 21 janvier 1998). Les représentants et responsables de l’université ne cherchaient pas à maintenir « l’unité » avec des personnes qui ont commandité, facilité, exécuté et félicité une agression fasciste.

Autre temps, autres mœurs. Le lendemain de l’attaque de 2018, « Rémy C. » crée une pétition « en soutien à notre doyen ». Cette initiative aurait pu être excusée par le choc provoqué par la mise en cause de son ami s’il n’avait pas été à l’initiative de l’organisation d’un hommage à Philippe Pétel lors de la réouverture de la faculté le 3 avril. Dans l’invitation qu’il lance à ses amis, il écrit : « Le mardi 3 avril, jour de réouverture de la faculté, à 8h, amphi 007, Philippe Pétel devait faire son habituel cours de M1. Je vous propose de nous retrouver dans ce lieu et à cet horaire hautement symboliques pour lui manifester notre soutien ». Les professeurs de sciences politiques ont quant à eux condamné sans détour les événements, sans oublier de souhaiter, rares sont ceux qui y ont pensé, « le plus prompt des rétablissements aux personnes qui ont été malheureusement blessées » (Message du Département de science politique, 23 mars). De son côté, la ministre Frédérique Vidal « condamne avec la plus grande fermeté [les agressions]. […] Elle a demandé au président de l’université de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect de l’ordre public et accompagner les étudiants » (Communiqué, 23 mars 2018). Le professeur de droit public Julien Bonnet réagit sur les réseaux sociaux : « En tant que professeur à la faculté de droit de Montpellier, je condamne fermement ces actes inacceptables de violences ! » (23 mars 2018). Dans leur communiqué, les quatre présidents de section « condamnent avec la plus grande fermeté toutes les violences » (Communiqué, 26 mars 2018), mais sans plus. Silence radio du côté des laboratoires de François Vialla (dynamique du droit) et des historiens du droit. En 2018, l’administration de l’université de Montpellier fait comprendre qu’il faudrait « apaiser » les choses, préserver « l’unité » et « l’image » de la faculté. Il faudrait reprendre la vie universitaire, comme si de rien n’était, alors que des présumés complices actifs ou passifs du commando armé assurent paisiblement leurs fonctions dans l’université de Montpellier. Il faudrait même, selon un mail officiel de l’administrateur provisoire de l’université, Bruno Fabre, « faire preuve de discrétion professionnelle et de mesure notamment en limitant les échanges sur les réseaux sociaux et en n’accordant pas d’interviews », sans oublier au passage de préciser qu’« il en est de même de toute participation à des rassemblements en dehors ou au sein de la faculté qui pourrait être de nature à fragiliser le retour au calme et à la sérénité » (Le Poing, 1er avril 2018). Circulez, il n’y a rien à voir ! Les organisations syndicales de l’université (CGT, SUD, FSU, FO), en lutte contre les violences et pour la justice, « dénoncent avec vigueur l’ambiance délétère qui s’est installée à l’UFR droit et science politique [et] veulent un retour au calme. Mais ceci ne passera que par des sanctions contre les auteurs des violences commises ». Les syndicats relatent l’incroyable : « nous assistons à un spectaculaire revirement de situation : ceux qui ont été agressés ou qui se portent solidaires, sont maintenant considérés non plus comme des victimes, mais comme des coupables ! » (Communiqué, 9 avril 2018).

Agresseurs et complices protégés ?

Philipe Pétel n’a pas fait preuve de toute la finesse d’esprit que ses amis lui prêtent lorsqu’il a été confronté aux nombreux témoignages des étudiants agressés. Le lendemain de l’attaque, le doyen explique sereinement devant les caméras que les « étudiants qui étaient autour » de lui « ont voulu se défendre […] et moi je ne peux pas les en blâmer, […] moi je suis assez fier de mes étudiants. Je les approuve totalement » (France 3, 23 mars 2018). Son avocate explique qu’il aurait déclaré durant sa garde à vue avoir ordonné d’ouvrir l’accès au commando par « naïveté » car il pensait qu’il s’agissait de « l’avant garde d’une brigade d’intervention » (Le Poing, 31 mars 2018), ce que dément un professeur resté dans le hall après que la citadelle fut libérée : « Philippe Pétel était au fond du hall avec son téléphone, il a dit dans le plus grand des calmes qu’il était enfin temps de faire venir la police. Donc il savait très bien qu’il n’avait pas affaire à des policiers » (Quotidien, 30 mars 2018). Quoi qu’il en soit, il est invraisemblable de confondre des policiers avec des hommes cagoulés munis de morceaux de palettes cloutées. Mais plus c’est gros et cagoulé, plus ça passe.

En 1998, face aux témoignages des étudiants selon lesquelles « les hommes du président nous ont attaqué avec des barres de fer », Yves Loubatières rétorquait « faux, c’est l’inverse qui s’est passé » (Midi Libre, 17 janvier 1998). Il annonçait porter plainte contre les étudiants pour « occupation illicite d’un bâtiment public, violences et agressions diverses, vol de documents (…) propos mensongers et diffamatoires » (L’Hérault du Jour, 21 janvier 1998), criait à la « machination » et affirmait que « la violence ne vient pas de nous mais des étudiants qui occupaient les bureaux, bloquant le travail du personnel, et, par là même, les autres étudiants, qui attendent des documents » (Midi Libre, 22 janvier 1998). Le président « soutient que son équipe n’a fait preuve d’aucune violence » (La Gazette, 23 janvier 1998). Une semaine après, il changeait de version. Loubatières s’expliquait : « j’ai agi selon la tradition de l’armée française qui veut que les généraux se trouvent en tête » (La Gazette, 30 janvier 1998). Après la thèse de l’innocence, et la tempête passant sans qu’aucune sanction ne tombe, Loubatières passait aux règlements de comptes. Il annonçait vouloir engager des poursuites contre le recteur (Midi Libre, 11 février 1998) et « s’en prend pêle-mêle au comité de vigilance composé d’enseignants de la faculté de droit, au syndicat CGT de l’Université Montpellier I, au SNES, au CNESER… » (L’Hérault du Jour, 11 février 1998). Loubatières était un homme dogmatique. Il s’est senti investi d’une mission qu’il a dévoilée lors de son discours d’inauguration de la faculté de droit rénovée : « je n’ai désormais plus rien à faire ici, ma tâche est terminée. Je vais maintenant me retourner vers d’autres facultés qui souffrent encore du diktat prononcé ici et là » (Midi libre, 18 février 1998). Se sachant tranquille, Loubatières parlait librement : « Quand j’ai viré les étudiants, on m’avait accusé de tous les maux. On avait même menacé de me destituer. Ceux qui avaient, à l’époque, crié au scandale ont-il agi de la même sorte envers le préfet, qui a eu la même réaction que moi ? » (Midi Libre, 23 septembre 1998). En attendant la fin de son mandat, en mars 1999, Loubatières pouvait encore agir en tant que président de l’université, ce qu’il n’a pas manqué de faire. Il avait par exemple coupé l’électricité des locaux des associations étudiantes et de la cafétéria de Richter toujours occupée par les étudiants, et tenté de saborder la nomination du professeur de droit Laurence Weil, car sa mère, Michèle Weil, était la présidente (classée à gauche) de l’université des sciences humaines et des lettres (la fameuse Paul Valéry).

Jean-Luc Coronel place quant à lui la barre encore un peu plus haut que Loubatières. Il affirme à Libération être à la fois un sauveur et une victime. S’il était présent au moment de l’expulsion de 2018, c’est « en raison de toutes sortes d’inquiétantes nouvelles, dont celles d’un collègue professeur frappé, de chargés de TD molestés et insultés […] Je me suis précipité pour évacuer les occupants présents, car la situation devenait à l’évidence très dangereuse. […] Certains m’ont porté des coups dont a témoigné un médecin légiste ; il m’a parfois fallu me défendre ». (Droit de réponse à Libération, 28 mars 2018). Très en forme, Coronel de Boissezon condamne dans un média d’extrême-droite « l’un des moments les plus orwelliens de l’histoire de la presse française ». Selon lui, « les autorités de l’État ont su raison garder dans les premiers jours ; mais, après la multiplication des foyers de contestation exprimée par des mouvements sociaux – chez les cheminots, les avocats, les magistrats, les greffiers, les personnels d’Air France ou encore les éboueurs – le gouvernement a paniqué et résolu d’éteindre au moins l’un des incendies, celui du mouvement étudiant ayant utilisé l’épisode montpelliérain pour se radicaliser. Deux victimes expiatoires ont été alors brutalement sacrifiées à cette fin, par la suspension et la mise en examen : le doyen Pétel et moi-même. Nous sommes offerts en boucs émissaires par un gouvernement acculé à donner des gages à ses plus violents opposants » (L’incorrect, 2 avril 2018).

L’étouffement des enquêtes administratives et judiciaires

En 1998, le recteur, le CNESER, et des professeurs de l’université demandaient au ministre de l’éducation supérieur et de la recherche d’ordonner une enquête administrative menée par l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAEN) en parallèle de l’enquête policière ouverte par le dépôt des plaintes des étudiants agressés. Le ministre Claude Allègre décidait alors de charger le recteur de l’académie de rédiger un rapport circonstancié (Midi Libre, 21 janvier 1998). Bien que le recteur déclarait fournir « plus ou moins régulièrement des éléments de réponse au ministre » (Midi Libre, 11 février 1998), le rapport ne sera plus jamais évoqué. Lassés de ce silence, les étudiants demandaient à être entendus lors d’un conseil d’administration de l’université mais, malgré le soutien de représentants étudiants et enseignants, Loubatières a refusé et reporté le conseil. Après la cafétéria de Richter, occupée depuis le 6 janvier par les étudiants, c’était au tour des locaux administratifs de la faculté d’AES et de celle de sciences économiques d’être habités jour et nuit par les étudiants à partir du 5 mai. Comme le soulignait la presse, « À Richter, leur colère n’a d’égale que la paralysie de la fac, imputée au cynisme d’Yves Loubatières, […] si la question de la démission d’Yves Loubatières s’est perdue dans les méandres du ministère chapeauté par Claude Allègre, elle hante toujours les têtes à Richter » (L’Hérault du Jour, 6 mai 1998). Au bout de onze mois d’occupation, Loubatières décidait de recourir une nouvelle fois aux bonnes vieilles méthodes. Les étudiants témoignaient : « des vigiles armés de chiens non muselés ont investi la faculté d’AES interdisant l’accès et menaçant de “lâcher” les chiens sur quiconque tenterait d’entrer » (L’Hérault du Jour, 23 décembre 1998). La force publique était envoyée sur place, « L’opération de police a débuté vers 20h50 où une vingtaine de civils ont brisé toutes les vitres, saccagé les locaux, et interpellé trois personnes » (L’Hérault du Jour, 24 décembre 1998). Loubatières avait gagné. Il est parti tranquillement à la fin de son mandat trois mois plus tard.

Le 23 mars 2018, une enquête judiciaire a été ouverte pour des « faits de violences en réunion et avec arme » par le parquet de Montpellier. Le même jour, la ministre Frédérique Vidal missionne l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche pour réaliser une enquête administrative. Les deux enquêteurs missionnés, M. Didier Lacroix et Mme Françoise Boutet-Waiss, sont arrivés à Montpellier le 26 mars 2018. Le hasard fait que Mme Boutet-Waiss est aussi reliée, de manière involontaire, aux évènements de 1998, puisqu’elle est devenue directrice du CROUS de Montpellier le 1er janvier 1998, soit deux semaines avant l’agression, et qu’elle a donc probablement signé les conventions de gestion des cafétérias avec l’université contre lesquelles les étudiants se battaient. L’intersyndicale (Solidaires, Snesup-FSU, Sud éducation, CGT des universités de Montpellier) et la Ligue des droits de l’Homme 34 dénoncent une « enquête très formelle où nous n’avons pas ressenti d’intérêt particulier des deux inspecteurs, ni concernant les victimes, ni concernant les agresseurs identifiés par les étudiants. Nous demandons à Madame la Ministre de penser à la protection des étudiants, qu’elle doit garantir avant toute réouverture de la Faculté » (Communiqué, 26 mars 2018). Le 28 mars 2018, Philippe Pétel et Jean-Luc Coronel sont placés en garde à vue. Le lendemain, ils sont mis en examen respectivement pour complicité d’intrusion et complicité d’intrusion et violences en récidive (Coronel ayant été condamné pour des faits de violence en 2013). Le procureur a indiqué que selon le témoignage d’un membre du personnel de l’université, Coronel aurait « pris contact sur le parking » avec le commando. Concernant Pétel, le procureur annonce qu’il aurait reconnu avoir donné l’ordre d’ouvrir l’accès au bâtiment, selon lui pour que la police puisse intervenir, « ce dont on peut douter », selon Monsieur le procureur « puisque la demande de réquisition de la force publique n’avait pas eu de suite » (AFP, 29 mars 2018). Le même jour, la ministre Frédérique Vidal annonce la suspension administrative des deux professeurs « suite aux premières conclusions de l’enquête administrative ». Elle précise que « la suspension d’un professeur d’université, ce n’est pas quelque chose qui se produit tous les jours mais c’était nécessaire dans ce cas-là au regard des faits » et ajoute qu’elle souhaite que « toute la lumière soit faite », que « toutes les responsabilités soient établies » et que « toutes les sanctions puissent être prises ». Enfin, elle assure que les conclusions de l’enquête administrative lui « seront rendues à la fin de la semaine » (France info, 29 mars 2018). Et depuis… silence radio !

L’enquête menée par l’administration ministérielle pourrait bien ne jamais rendre publiques ses conclusions. Quant à celles menées par la police et la justice, les conditions de l’audition – enregistrée et diffusée dans les médias – d’un « témoin clé » dans les locaux de la police de Montpellier en dit long sur les motivations des enquêteurs. Pressions, violences verbales, insultes, menaces de violences physiques : les policiers de Montpellier se sont une nouvelle fois distingués (Médiapart, 3 avril 2018). Digne, le syndicat Unité SGP-FO police monte au créneau, par la voix de Bruno Bartocetti, qui se dit « choqué qu’un témoin puisse avoir autant de défiance à l’égard de l’institution policière. Nous dénonçons la volonté de nuire de cet étudiant » avant d’assurer « tout son soutien au fonctionnaire incriminé, qui présente des états de service irréprochables » (e-métropolitain, 5 avril 2018). Quelques jours plus tard, ce même représentant syndical de la police nationale explique pourquoi la force publique n’est pas venue en aide aux étudiants agressés, ou à défaut, n’a pas arrêté les membres du commando retranchés dans la faculté : « À l’extérieur, il a d’abord fallu disperser la foule », la foule étant… les étudiants tabassés et les victimes (Midi Libre, 10 avril 2018).

La faculté de droit de Montpellier, un terreau propice au fascisme

Dans un article récemment publié dans Médiapart, l’ancien doyen de la faculté de droit Paul Alliès dénonce la présence ancienne « d’une droite extrême échappant aux classifications nationales » au sein de cette faculté. Benoît Fleury illustre bien la porosité des milieux fascistes et de la faculté de droit. Président du GUD de 1995 à 2000 (groupuscule d’extrême-droite), il a été accepté en thèse par le professeur Jean-Marie Carbasse avant de devenir maître de conférences à Montpellier en 2007, sans que personne ne s’en préoccupe. Sa nomination à un poste de professeur d’histoire du droit à la faculté de droit de Niort et d’Angoulême a pourtant provoqué la mobilisation des étudiantes de l’université de Poitiers, soutenus par douze professeurs de droit (Libération, 23 février 2008). Benoît Fleury s’éloigne alors du monde universitaire pour se réfugier quelque temps en lieu sûr, devenant directeur général adjoint des services du conseil général de Vendée alors présidé par son ami d’extrême-droite Philippe de Villiers. Benoit Fleury reviendra à l’université de Poitiers 5 ans plus tard, et les étudiants se remobiliseront (La Nouvelle République, 25 septembre 2013). Rien de tel à l’université de Montpellier. Rien non plus au sujet de Jean-Luc Coronel qui essaime sa pensée depuis des années, avec de nombreux doctorants qui, comme lui, font vivre l’idéologie royaliste. Personne ne prend position face au fascisme latent qui gangrène l’institution. Pour Paul Alliès, « la sanctuarisation de cette France rance, antisémite, pétainiste, identitaire est une opération qui a ses interprètes dans l’université, dans la magistrature, dans les médias. C’est ce qui est en cause dans les violences de la Fac de Droit de Montpellier. Leur condamnation ne doit pas s’arrêter à la démission d’un doyen. Elles appellent de la part du gouvernement, des autorités universitaires, de notre part, la plus grande vigilance. Et un droit de suite » (Médiapart, 25 mars 2018).

Les enquêtes menées lors des évènements de 1998 n’ont pas abouti. Qu’en sera-t-il pour celles du jeudi 22 mars 2018 ? Dans tous les cas, l’image de l’université de Montpellier est durablement souillée dans les sales draps de l’extrême droite, et rien ne laisse présager un changement de cap en son sein. En 1998, quatre jours après l’attaque armée contre des étudiants, lorsque le professeur Deschamps se rendait à l’université pour donner son cours comme chaque lundi à 15h, tous les étudiants étaient présents dans l’amphithéâtre D-100. D’ordinaire à moitié vide, les trois cents places assises étaient occupées. L’homme descendait les marches dans un silence de cathédrale puis prenait place sur l’estrade. D’un même mouvement et sans un mot, tous les étudiants se levaient et tournaient le dos au professeur-agresseur. Fin du cours. En 2018, c’est l’écrasante majorité de la communauté universitaire de l’université de Montpellier, et de manière encore plus violente, de la faculté de droit, qui tourne le dos à ses victimes et à ceux qui les soutiennent, afin de les chasser de l’université de Montpellier.

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