Archives - International 16 octobre 2014

Ce que l’Ukraine nous dit de la Russie et de l’Occident

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Le conflit en Ukraine est une réalité sujette à tous les fantasmes et victime de toutes les manipulations. Au cœur d’enjeux géostratégiques primordiaux pour l’OTAN d’un côté, qui soutient les élites ukrainiennes qui lui sont favorables, et la Russie de l’autre, ce territoire est pris entre deux feux [1].

En plus d’étendre des « zones d’influences », les deux camps veulent garder ou prendre le contrôle sur les infrastructures gazières. Sur fond de dépendance énergétique inacceptable pour une doctrine atlantiste (31% du gaz de l’Union Européenne provient de Russie [2]), l’Occident multiplie les interventions non assumées aux portes de la Russie. L’inverse est vrai, la Russie fait tout pour contrôler l’approvisionnement gazier européen et ainsi maintenir une position stratégique. Cependant, ces enjeux mal perçus par les populations sont recouverts d’un verni propagandiste particulièrement peu brillant.

L’Express par exemple se fend dans son édition du 14 mai 2014 d’un très subtil « Poutine n’est pas Hitler, mais… ». De son côté TV Channel Russia 24 nous annonce par exemple que des enfants ukrainiens seraient entrainés pour combattre dans le Donbass, vidéo à l’appui [3] ! Cette guerre médiatique, parfois totalement délirante, met en lumière le processus de mise en scène de la détestation mutuelle entre les « peuples »  dits « occidentaux » et le(s) « peuple(s) » russe(s). Ce processus sur lequel s’appuient les élites pour garder le pouvoir a des conséquences désastreuses.

La doctrine « patriotique » de Poutine

Parler de personnification du pouvoir en Russie ne choquera personne. Cependant, évoquer l’image du « tsar » qui aurait perduré ne signifie pas grand-chose. Poutine surfe en réalité sur un patriotisme exacerbé qu’il entretient par un certain nombre de mesures et que la politique agressive de l’Occident lui permet de justifier. Le triptyque patriotisme, puissance et sens de l’État [4] qu’il a élaboré lui garanti une position hégémonique dans son pays. La crise en Ukraine lui a d’ailleurs permis d’atteindre des taux de popularité record [5] depuis… la crise de 2008 en Géorgie  !

L’intervention militaire fait office d’outil politique à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, et participe au sentiment national. Poutine n’hésitera pas à l’utiliser encore si l’occasion se présente. Or, la mise en place de l’Union eurasiatique [6] qui entrera en vigueur en janvier 2015 et son probable agrandissement [7] laisse craindre une tentative de déstabilisation dans la région par les États-Unis et ses alliés puisque celle-ci entre en concurrence directe avec le projet d’une grande Union transatlantique, initié par le Traité transatlantique [8].

L’ultranationalisme porté par l’Occident

Cependant, cette reprise en main de « l’identité russe » par le Kremlin excite les franges les plus nationalistes de la population. La fête de l’Unité nationale, imposée en 2005 pour remplacer les commémorations de la révolution bolchevique de 1917 et pour contribuer à redéfinir les symboles nationaux, a, par exemple, été récupérée par l’extrême droite qui l’a rebaptisée « Marche russe ». Que ce soit en Russie ou en Ukraine, ce sont les ultranationalistes qui lui tiennent tête. Alexeï Navalny, homme politique russe proche des ultranationalistes ayant fait ses études à l’Université de Yale, s’impose comme le seul opposant « crédible » à Poutine. Accusé de détournement de fonds par la justice russe, il a bénéficié du soutien des États-Unis et de l’Union européenne qui d’une même voix ont dénoncé un « procès politique ». En Ukraine, le « gouvernement » mené par le Président milliardaire Petro Porochenko [9] compte en son sein quatre ministres appartenant au Parti néonazi Svoboda, ex « Parti social-nationaliste d’Ukraine » ! Là encore, l’OTAN cautionne…

Face au patriotisme débridé et aux démonstrations de puissance de Poutine, l’Occident se lance donc dans une vaste opération de soutien aux mouvements ultranationalistes. D’un côté comme de l’autre, la diabolisation de « l’adversaire » est devenue une arme de légitimation dont la plupart des médias se font les complices.

Éveiller notre esprit critique demeure le meilleur rempart face à ces innombrables tentatives de manipulation.

                                                                                                                                                                                                 Mario Bilella

[1] « La Russie se protège face à l’OTAN »,  Le Poing

[2] Chiffre correspondant à l’année 2010, annoncé par la Commission Européenne

[3] STOPFAKE.net

[4] Cécile Vaissié, « Marlène Laruelle, Le nouveau nationalisme russe », Cahiers du monde Russe, 51/4 (2010)

[5] 80% des Russes approuvent la politique de Vladimir Poutine, selon un récent sondage du Centre Levada, Organisation non-gouvernementale effectuant des recherches sociologiques et des sondages, Moscou

[6] Union entre la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie entérinée le traité du 29 mai 2014

[7] L’Arménie, le Kirghizistan, le Tadjikistan ont manifesté le désir de rejoindre cette union

[8] « L’UE, le nouvel Etat de l’Oncle Sam ? », Le Poing

[9] Forbes estime sa fortune à 1,6 milliard d’euros

 

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