Archives - Littérature 16 décembre 2015

COWBOIT

une nouvelle d’Henri Nimrodstein sur une histoire montée et dialoguée avec Monsi et Vincent Gro

2015-12-03_18h09_14

Ils attendaient l’arrivée du train de quatre heures quarante qui reliait Jorney à Tobbey City embusqués derrière un immense rocher tombé du ciel. Seule infrastructure dans cette interminable étendue de terre craquelée, le chemin de fer traversait le paysage d’un horizon à l’autre. Le prochain passage n’allait pas tarder, il devrait apporter à nos trois cowboits le salut qu’ils espéraient tant. Binch Mac Loyal, Heenok Fast Leopard et Montgomery – juste Montgomery – trois valeureux et jeunes intrépides hors-la-loi qui à leur actif, n’avaient que quelques menus larcins qu’aucun d’entre eux ne pouvaient revendiquer avec fierté, se passaient à tour de rôle un tord-boyaux qu’ils vidaient par des gorgées goulûment avalées afin d’oublier qu’ils ne brilleraient peut être jamais sous les feux de la rampe. Le liquide foncé perlant sur les poils broussailleux de leur moustache, coulait jusqu’à leur menton et tâchait le foulard qu’ils portaient chacun autour de leur cou.

Heenok Fast Leopard dont la pitoyable hygiène masquait une surprenante beauté rejoint il y a plusieurs mois maintenant Montgomery et Binch Mac Loyal, deux présumés voleurs de bétails. Leur rencontre survint une nuit où chacun de leur côté, ils s’attaquèrent à une même ferme pour en dérober ses bovins ; leur intrusion capota et les trois cowboits ne récoltèrent rien d’autre qu’une blessure par balle pour Heenok Fast Leopard et une morsure de chien au mollet pour Binch Mac Loyal. Malgré cet échec ils allièrent leurs compétences pour croiser au plus vite le chemin de la gloire et de l’opulence. Toutefois, Heenok Fast Leopard sachant que les astres avaient mieux à lui offrir, attendait l’ultime coup, la dernière combine qui rapporterait gros. Il en profiterait pour mettre de la distance entre ses deux acolytes et ses rêves de grand banditisme.

Selon ce que l’une des montres de gousset d’un des cowboits affichait, il ne restait que vingt deux minutes avant que le train n’arrive. Vingt deux minutes avant que leur destin ne change. Un destin que l’Expert tenait entre ses mains.

Saisit d’une envie pressante Heenok Fast Leopard quitta ses homologues et partit en direction des cactus fleuris qui se tenaient en un amas aux limites du canyon. Une fois arrivé au bord, il attrapa son membre phallique et se déchargea. L’infortuné suite à la perturbation par l’alcool de son sens de l’équilibre bascula vers l’avant et rien ne le rattrapa. Il dégringola le long de la paroi alors qu’il tenait encore de ses deux mains ledit engin. Le cowboit termina sa chute sur les rochers en contrebas et mourut sur le coup en cette chaude

« Trop de bourbon tue l’homme ! » murmura Montgomery qui, ne voyant pas revenir son ami, porta à sa bouche un harmonica et souffla une suite d’accords sinistres ; quant à Binch Mac Loyal, il entonna un jam funeste de sa voix stridente et de quelques rimes maladroites.

Le train siffla trois fois. Son épaisse fumée noire découpa le ciel en deux, un homme sauta d’un des wagons, une mallette à la main, vêtu de noir. Ses longues bottes pointues, son couvre-chef qui lui tombait sur ses yeux, la noblesse des tissus, conférait à l’Expert l’aura qu’entourait d’ordinaire les hommes d’Église hormis qu’il portait un double holster à la ceinture. Il salua avec déférence nos deux compères qui le toisèrent en retour et leur demanda : « Où se trouve Monsieur Fast Leopard ? » ; « Il a cané y’a pas vingt minutes ! C’est avec moi qu’il faudra traiter. » répondit Montgomery.

L’Expert ne répondit rien. Il se contenta de placer sa mallette sur le sol et par une succession de gestes précis la transforma en une petite table dépliée, autant de chaises que nécessaires. Il disposa même dessus un service à thé de faïence sous des regards inquisiteurs de nos deux cowboits. Binch Mac Loyal et Montgomery grommelait. L’homme en noir prit silencieusement place en les invitant à l’imiter.

« Obeïd, dit l’Expert,

Obeïd dont la renommée n’était plus à faire

Prospérait au-delà de ses frontières lointaines.

Tous colportaient Ô combien l’on vivait sans peine,

Les badauds y venaient des quatre coins du royaume

Pourtant nul n’ignoraient ces incessants pogroms.

L’inintelligence gangrenait au nom du roi,

Naissaient et dansaient ses puissants petits soldats.

Alors de-ci de-là, vaincu par la démence,

D’un pas conquérant, filait son armée, immense.

Une nuit où la lune n’avait dénié se montrer

La reine mourut sans cris, du mal qui la rongeait.

Ahmad, de ses larmes submergea la capitale

Et il en fut fini d’Obeïd, ruine sépulcrale. »

Binch Mac Loyal ne fit ni une, ni deux, il pressa la détente de son revolver et logea l’une de ses six balles dans la poitrine de l’Expert qui, propulsé par l’impact, culbuta en arrière.

– « Uh ?! J’suis choqué ! expira Binch Mac Loyal, son arme fumait encore par le canon.

– Mais, qu’as tu fait ? lui demanda de sa voix de stentor, Montgomery.

– T’as donné le signal !

– Mais, quel signal ? Il n’a jamais été question de signal.

– Le signal, répéta-t-il ; là… Avec le pied ! »

Montgomery suite à ce dramatique assassinat rabattit théâtralement le pan de son chapeau vers le devant, rajusta son poncho et laissa là le cowboit Binch Mac Loyal qui venait une nouvelle fois de lui démontrer qu’il n’avait pas l’étoffe d’un bandit et qu’il ne méritait pas sa présence, Montgomery s’en alla alors. Il longea à travers les plaines de cet ouest hostile les rails sur lesquelles le train descendit vers Tobbey City et ce durant de longues heures. Une fois arrivé sur le lieu unique qui constituait son petit havre de paix, il s’agrippa au comptoir et en quelques verres du grog maison, il fut copieusement imbibé.

Le cowboit passa trois nuits et trois jours à user le zinc et lever son verre à ce nouvel échec qu’ils essuyèrent, son coude laissa dans le bois une marque qui signifierait à tous, que Montgomery avait ici, tristement étanché sa soif. Le saloon fut le théâtre d’un tas d’événements, tels qu’une succession de rixes entre tricheurs de cartes, de duels d’ivrogne, plusieurs coïts eurent lieu sur les tables de la salle principale alors même que l’étage leur était dédié, un homme mourut par étranglement et le barman prit une balle dans l’épaule ; Montgomery n’ayant l’esprit qu’à son propre tourment, ne se rendit compte de rien, il ne se préoccupait que du niveau de son verre. Il y eut trois soirs et il y eut trois matins : ce fut le quatrième jour.

Dans une entrée peu discrète, c’est à dire fracassante, Binch Mac Loyal dégonda les deux portes battantes qu’il poussa violemment pour pénétrer dans ce lieu de dépravation et avant même de s’asseoir de son imposant séant, il beugla à l’adresse du barman, un bras en écharpe : « Mets-y-moi deux de tes meilleurs bourbons ! » Puis à l’aide d’une forte tape dans le dos il fit émerger Montgomery de son sommeil éthylique.

« On va s’refaire Montgomery ! susurra Binch Mac Loyal à l’oreille de son compagnon. J’ai entendu le cousin de la nièce du gars qui t’avait vendu un poncho, le rayé jaune et rouge, pas le bleu et blanc, dire que le père du type qui avait fait scandale à la messe le mois dernier possédait des chevaux qui valaient un bon paquet de pognon, alors je m’suis dit qu’on pourrait les lui emprunter. »

Il se mit à rire gras. Binch Mac Loyal frappa de son verre le comptoir qu’il éclaboussa de tout le liquide contenu à l’intérieur.

« Vraiment ? Demanda Montgomery ; Moi qui pensais que tu n’étais qu’un bon à rien, me serais-je trompé sur ton compte ? Voilà que tu rattrapes tes erreurs, c’est merveilleux ! »

Ses yeux mouillés par l’ivresse pétillaient à présent de bonheur.

« Où est-ce, alors ?

– Où ça, quoi ?

– Le corral !

– Les chevaux ?

– Oui les chevaux du vieux !

– J’ai eu peur Montgomery ! répondit-il alors que son visage se renfrognait. J’ai eu peur qu’il fasse un signal… Alors…

– Alors quoi ? coupa Montgomery qui redoutait le pire.

– J’ai tiré ! »

En effet quatre jours auparavant, après que Binch Mac Loyal fût abandonné devant sa tasse de thé, ce dernier décida de suivre le chemin de fer vers le Nord, en direction de Jorney en laissant derrière lui l’Expert à la merci des charognards ; là il s’essaya dès le lendemain matin au métier de vendeur de poncho, l’un de ses rêves d’enfant et peut-être mettre fin à sa vie de malfrat. Mais Binch Mac Loyal était aussi bon bandit que bon vendeur, il fit fuir chacun des clients qu’il conseilla. Le propriétaire de l’échoppe, son employeur, le renvoya errer dans les rues de Jorney dès la fin de journée. Le cowboit comprit que le destin se jouait de lui alors il essayait de rendre cette courte expérience aussi fructueuse que possible, alors il se souvint avoir surpris entre son ex-employeur et un bedonnant badaud une discussion qu’il pourrait renouer avec son camarade Montgomery. Les deux hommes avaient évoqué l’existence d’un vieil homme grabataire qui possédait des chevaux dont les croupes majestueuses étaient convoitées par un grand nombre de gens aussi mal intentionnés que bienveillants. Le matin suivant Binch Mac Loyal retourna plein d’entrain à la boutique de ponchos pour cueillir plus d’informations sur ce monsieur alité, au grand dam du propriétaire qui inquiet de revoir ce cowboit sur le perron, consentit à répondre positivement à sa requête pour éviter une esclandre. Mais alors qu’il s’apprêtait à noter l’adresse du mourant sur un morceau de papier tiré de sa poche, Binch Mac Loyal attrapa son revolver et le pauvre informateur mourut l’instant d’après.

Montgomery ne put s’empêcher de descendre son verre d’une seule traite puis d’en recommander un autre. Boire : voilà ce à quoi l’imbécilité de son compagnon le poussait, or ceci fut la fois de trop, Montgomery ne pouvait plus ingurgiter autant d’alcool qu’à l’époque de leur rencontre et son corps ne supporterait pas plus longtemps la présence de ce satané Binch Mac Loyal, ce dernier était vraiment trop con. Sans dire un mot en se jurant de ne plus jamais boire une seule goutte d’alcool, le cowboit Montgomery abandonna derechef son compagnon en titubant maladroitement hors du saloon. Il espéra donc ne plus avoir à recroiser son chemin.

Un cas d’éthique survint parmi ses pensées agitées, tel qu’il ne pensa plus qu’à cela. Il devait tenir Binch Mac Loyal loin d’une arme à feu, des vies innocentes doivent être sauvées car la présence d’un pistolet à la ceinture de Binch Mac Loyal mettait en danger quiconque croisait sa route.

Pour cela Montgomery entreprit la construction d’un tout nouveau genre d’engin avec l’aide de quelques artisans, une magnifique bicyclette dont les roues carrées colleraient parfaitement au personnage. Montgomery fit livrer son présent à Binch Mac Loyal et ce dernier put de nouveau dévaler les collines de son enfance dans l’insouciance de sa simplicité, insensible à la douleur que causaient ses chutes répétitives. Montgomery partit seul vers un avenir qu’il voudrait grandiose par le train de quatre heures quarante dans lequel il espéra se trouver un nouvel acolyte.

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