De Nîmes à Montpellier, des collectifs solidaires avec les personnes migrantes se mobilisent contre la répression

Le Poing Publié le 25 septembre 2018 à 18:32 (mis à jour le 26 février 2019 à 23:49)

Exposition de dessins et chorale au Vigan, débats à Ganges et à Nîmes, réunion à Montpellier, tractage à Saint-Jean-du-Gard, projection à Lunel… : depuis jeudi dernier, des collectifs locaux solidaires avec les personnes migrantes se mobilisent pour « revendiquer et défendre nos droits à l’asile, à l’humour, à la libre circulation, à la différence, à la justice sociale… » Cette « semaine de revendication » s’inscrit dans un contexte répressif : Moussa, jeune homosexuel guinéen, a été débouté du droit d’asile et Robert, investi depuis des années dans le soutien aux personnes migrantes, passe en procès jeudi prochain à Nîmes pour outrage, dégradation et refus d’ADN.

Moussa, un cas emblématique de la répression des personnes migrantes

L’histoire de Moussa a fait le tour des médias. Arrivé en France en 2015 avec une autorisation temporaire de travail, sa demande d’asile est rejetée une première fois en 2017 et il est placé au centre de rétention administrative (CRA) de Nîmes. Dans la nuit du 28 au 29 avril 2018, la police l’amène à l’aéroport de Marseille pour l’expulser, mais le pilote refuse de décoller. Le 3 mai dernier, Moussa refuse d’embarquer dans un avion direction Conakry, ce qui lui vaut d’être jugé en comparution immédiate et condamné à deux mois de prison ferme et deux ans d’interdiction de territoire – jugement dont son avocate a interjeté appel. Quelques semaines après sa sortie de prison, Moussa est de nouveau débouté du droit d’asile.

L’association Aides – dont fait partie Moussa – considère que « renvoyer des gays, bis, lesbiennes ou trans dans des pays qui criminalisent l’homosexualité et les persécutent […] est une politique migratoire indigne et criminelle ».(1) Plusieurs centaines de personnes se sont réunies lors de plusieurs manifestations pour réclamer la protection de Moussa, avec le soutien de nombreuses personnalités culturelles et politiques, dont la présidente de la région Occitanie Carole Delga. Les organisateurs de la « semaine de revendication » affirment que comme Moussa, « d’autres migrants, tout l’été, ont subi la même application aveugle de dispositions contraires à la convention de Genève sur le droit d’asile : déportations dans leur pays d’origine (y compris Soudan ou Afghanistan), refoulement à la frontière, transferts Dublin dans des pays d’Europe déjà saturés ou ouvertement xénophobes ».(2)

Criminalisation des militants

Les organisateurs de cette « semaine de revendication » pointent aussi du doigt « la répression accrue de militants et bénévoles qui tentent par divers moyens de résister aux mesures injustes et malveillantes » et évoquent le cas de Robert. « Investi depuis plusieurs années dans le soutien aux personnes migrantes, Robert a participé en avril dernier à la mobilisation pour s’opposer à l’expulsion en Guinée de Moussa […] À l’issue de la manifestation du 29 avril à Nîmes où un tag « PREFET DE N » est inscrit sur le mur de la préfecture, il est interpellé et gardé à vue durant 18 heures. Conduit au tribunal, le juge décide de le poursuivre pour dégradation et outrage à personne dépositaire de l’autorité, avec un procès [ce jeudi 27 septembre à Nîmes], assorti d’un contrôle judiciaire (CJ) lui interdisant d’aller dans le Gard ».

À l’appel du collectif « Bienvenue Migrant·e·s 34 », une trentaine de personnes se sont réunies hier au Dôme, à Montpellier, en présence de Robert, pour réfléchir « à ce qu’il faut faire pour construire un rapport de forces capable de stopper cette politique migratoire barbare ». Des intervenants ont évoqué « le lien organique entre la répression accrue des migrants et la répression de celles et ceux qui les accompagnent », le cas des « fascistes de Génération identitaire qui ne sont pas poursuivis quand ils mènent des actions illégales anti-migrants »(3), et la nécessité « d’arracher des petites victoires, pour commencer à inverser la tendance », à l’image de l’obtention, en juin 2017, d’un tarif réduit de tramway pour les demandeurs d’asile. Prochains rendez-vous mentionnés hier lors de la réunion : rassemblement jeudi 27 septembre à 14h devant le tribunal de grande instance de Nîmes pour soutenir Robert lors de son procès ; rassemblement ce même jeudi à 15h25 devant la cour d’appel de Montpellier pour soutenir un jeune sans-papier incarcéré ; projection, toujours jeudi, du film « Libres » suivi d’un débat avec le réalisateur Michel Toesca et avec Thierry Lerch, militant du collectif « Bienvenue Migrant·e·s 34 » ; et enfin, rassemblement le 6 octobre à midi sur la place de la Comédie de Montpellier, avec des couvertures de survie, « pour rappeler que quand on expulse des personnes migrantes, on les met à la rue ».

MAJ 28/09/2018 : Robert a été condamné par le tribunal de grande instance de Nïmes le 27 septembre 2018 à payer une contravention de 150€ pour le délit de dégradation-outrage, ainsi que 127€ de droit fixe, et les charges pour refus d’ADN ont été abandonnées (voir compte-rendu de l’audience en bas de l’article).

Sources :

(1) « Libérez Moussa », Aides, 30 avril 2018.
(2) Retrouvez le communiqué complet sur la page facebook du collectif « Bienvenue Migrant·e·s 34 ».
(3) Le 21 avril, et dans la nuit du 26 au 27 avril, des militants du groupuscule fasciste de Génération identitaire ont patrouillé dans le col des Hautes-Alpes pour tenter d’empêcher des personnes migrantes de traverser la frontière. Dans un premier temps, le procureur de Gap n’a pas donné suite à ces actions mais le 11 mai, il a finalement ouvert « une enquête préliminaire plus globale ouverte du chef d’immixtion dans une fonction publique pour vérifier si un tel délit a été commis par Génération identitaire »Aucun militant de Génération identitaire n’a pour le moment été inquiété. En revanche, parmi les 400 militants antifascistes qui ont manifesté, le 22 avril, pour montrer leur solidarité avec les personnes migrantes, six ont été placés en garde à vue pour « aide à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire national et en bande organisée », et trois d’entre eux ont été envoyés en détention provisoire dans la foulée.

Robert est accusé d’avoir tagué cette inscription sur la préfecture de Nîmes, lors d’une manifestation de soutien à Moussa le 29 avril 2018.

Dans la semaine du 20 au 27 septembre 2018, la médiathèque du Vigan a accueilli une exposition de dessins de Jean-Michel Delambre sur la thématique migratoire.

Réalisation d’un tag au parc des Châtaigniers de Vigan, le 22 septembre 2018.

Vidéo de la chorale sur le marché du Vigan, le 22 septembre 2018 :

Publiée par Robert Latapy sur Dimanche 23 septembre 2018


Compte-rendu de l’audience :

A partir de 14h, une cinquantaine de personnes, venues du Gard de l’Hérault et même du Vaucluse, se sont retrouvées dans l’entrée du Tribunal de Grande Instance de Nîmes pour me soutenir, étant poursuivi suite à un tag “PREFET de N” écrit sur un mur de la préfecture lors d’une manifestation le 29 avril 2018 en soutien à Moussa, guinéen homosexuel menacé d’expulsion.

Il a fallu attendre jusque vers 18h pour que l’audience du dossier commence et il y avait encore une bonne vingtaine d’amiEs à 20h lors de l’annonce du jugement.
Le Président du tribunal a d’abord lu posément les éléments du dossier, actes d’accusation, procès verbaux de la police nationale et même un point sur la mobilisation en faveur de Moussa, dont je n’ai pas compris l’origine (ce n’est pas dans le dossier). A noter qu’à plusieurs reprises, assez étonnamment, il a critiqué l’imprécision, les manquements, les erreurs des documents fournis par le commissariat, soulignant l’absence de documents majeurs tels le procès verbal précis de refus de prélèvement ADN et la facturation du nettoyage du mur, dont il prend acte de l’aspect ultérieur sans trace de dommage visible.
L’affaire se corse lorsque le Président me pose la question fatidique : “reconnaissez vous les faits”.  Les conclusions déposées la veille par mon avocat demandent la relaxe pour les trois chefs d’accusation (dégradation du mur, outrage envers le préfet et refus d’adn).  C’est donc sans surprise que je réponds ne pas reconnaître les faits…dans l’énumération des griefs invoqués : il n’y a pas marqué “PREFET de M….”, je n’ai pas refusé le prélèvement ADN (il ne m’a été demandé qu’après ma déclaration d’hostilité à ce contrôle systématique), le mur est redevenu tel qu’avant le tag dès le 30 avril.
Un “témoignage de moralité” remarquable de Me N. Gourrat retraçant par écrit mon parcours dans le dédale des monstruosités administratives et les approximations juridiques, m’évite d’entrer dans les détails de ce qui peut pousser à y écrire quand on se heurte trop souvent à des murs.
Autre moment tendu lorsque je suis invité à compléter le tag, sans doute afin de faciliter l’identification d’un outrage dont je m’évertue à expliquer qu’il n’a jamais été dans mes intentions mais que, vu l’interprétation M…. de l’accusation, il va m’être difficile de prouver le contraire.  Il faut se rendre à l’évidence, ce “PREFET de N” restera à jamais version définitive et finalement me convient très bien puisqu’il a eu l’effet escompté : alerter les autorités sur le sort de Moussa, menacé de mort en Guinée.
Vient le tour du Procureur, qui commence par remercier Me Marc Roux d’avoir fourni à l’avance ses conclusions et annonce qu’il est presque d’accord avec lui !  Abandon des poursuites sur le refus d’ADN, non pour une question de droit mais de forme, car il n’y a nulle part un procès-verbal précisant le moment et les circonstances de constitution du délit (et pour cause, j’étais enfermé dans ma cage et les policiers n’avaient nullement l’intention de prélever mon adn mais de recueillir mon refus, précédemment exprimé).  Idem il convient de requalifier la dégradation en contravention de simple police, demandant 250€ pour ce délit.  Reste l’outrage où, malgré les faits, il s’entête à affirmer vigoureusement qu’il s’agit d’un M et qui ne peut avoir pour sens que Merde.  S’en suit une étonnante énumération d’outrages, de Prefet de Merde à Procureur ou Président de tribunal de Merde en passant par Avocat de Merde, comme si les gens mécontents passaient leur temps à écrire des insanités sur les murs. Et de demander à ce que j’exécute, à mes frais, un stage d’instruction civique (camp de formation à la citoyenneté ?). Le Président, reprenant la proposition du Procureur, me demande si j’accepterai de suivre un tel stage.  “N’y a t’il pas un risque que je contamine les autres stagiaires ?” La question est posée à nouveau et, ne voyant pas le piège, je finis par dire “pourquoi pas ?” (en disant oui, cela équivaut à accepter l’idée d’avoir commis un délit).
Enfin (ou peut-être avant, je m’enlise) une surprenante tirade sur ma propension à me victimiser et, par lâcheté, à m’y complaire, au lieu de porter plainte contre la personne qui m’a agressée devant la préfecture.  A ce propos, une certaine confusion a parsemé les discussions et donne à penser que l’identité de mon agresseur, dont il n’y a aucune trace de l’existence dans mon dossier (sauf PV du médecin pour blessures), n’est pas inconnue pour tout le monde.  Ce qui expliquerait qu’aucune vidéo, dont pourtant la police affirmait le dimanche soir qu’elle prouvait que j’étais l’auteur du tag, n’ait été jointe au dossier.
Mon Avocat Me M. Roux prend ensuite la parole et développe les éléments juridiques qui justifient la relaxe pour chaque chef d’inculpation.  L’absence de traces sur le mur, facilement et rapidement nettoyé (par qui ?) font douter d’un quelconque dommage, l’outrage n’est pas constitué et l’article de loi évoqué ne s’applique qu’à des écrits non rendus publics (et la rue elle est à qui ?) l’ADN ne peut être demandé dans un tel cas (arrêt de la CEDH de juin 2017+jurisprudence) et n’a pas fait l’objet d’un PV valide.
Je termine par un court plaidoyer sur les seules victimes de cette affaire, les migrants, qui subissent l’arbitraire et la maltraitance de l’administration et sur ma satisfaction qu’au final Moussa est toujours parmi nous.  Suite à quelques applaudissements (alors qu’après des heures d’attente, la salle avait été particulièrement calme) le Président proteste que cette salle n’est pas un lieu de manifestation et exige le silence.
Suit un assez long délibéré en coulisses, avec 2 fausses entrées.  La cour revient, donne le verdict d’une autre affaire, s’apprête à faire de même pour la mienne quand un doute semble saisir le Président.  Il consulte le Code Pénal, discute avec les 2 assesseurs durant un bon moment, masquant sa bouche avec un dossier.  Enfin d’accord, le jugement tombe : abandon des poursuites pour le refus de prélèvement ADN, condamnation contraventionnelle à 150 € pour le délit de dégradation-outrage ainsi que 127€ de droit fixe, le tout avec une remise possible de 20% si je règle rapidement.  Aucune précision du Tribunal sur la justification de l’outrage (alors que nos deux arguments sont solides).
Dans l’attente du jugement écrit, je suis maintenant libre d’aller où je veux.  Un grand merci à toutes les personnes, de près ou de loin, qui ont manifesté leur soutien et apporté leur aide à la semaine pour revendiquer nos droits… et les défendre !

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