Archives - International 25 septembre 2015

Entretien avec Jean-Paul Guevara, petit neveu du Che

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Le 18 décembre 2005, Evo Morales remporte les élections présidentielles boliviennes dès le premier tour avec plus de 53% des voix. Pour la première fois depuis le XIXe siècle, un amérindien accède au pouvoir en Amérique du Sud. Cet ancien syndicaliste et footballeur professionnel nationalise la production d’hydrocarbures, augmente le salaire minimum et s’oppose à l’installation de bases militaires américaines. La particularité de ce mouvement révolutionnaire et socialiste est de s’intéresser aux questions identitaires et culturelles. Pour en savoir plus, Le Poing a rencontré Jean-Paul Guevara, petit-neveu du Che et ambassadeur de Bolivie en France.

Qu’est-ce que cela change d’être ambassadeur d’un pays se proclamant révolutionnaire ?

Les ambassadeurs doivent remplir des missions précises : faire connaitre leur pays, prêter attention à nos ressortissants vivant en France et renforcer les liens entre les peuples. Mon rôle est aussi de faire connaitre la Révolution démocratique et culturelle que nous sommes en train de vivre comme une proposition pour le reste du monde.

Le préambule de la Constitution bolivienne remet en cause « l’État néolibéral, républicain et colonial ». Pourquoi associer la République au capitalisme et à la colonisation ?

Plus qu’une remise en cause, il s’agit avant tout de surmonter et de dépasser l’État. Et nous affirmons effectivement qu’il faut aussi s’émanciper du modèle républicain. Nous ne sommes pas républicains. La République est le fruit de l’État-nation, c’est une idée qui a été créée et idéalisée ici, en France. Nous sommes contre ce modèle importé parce qu’il ne correspond pas à la réalité de la société bolivienne. L’État-nation cherche l’homogénéisation de la population, à faire en sorte que les gens pensent la même chose, qu’ils soient identiques. Mais nous savons que ce vœu n’est pas sincère. Le gouvernement bolivien souhaite au contraire préserver et reconnaitre la réalité, la nature, la dignité et la diversité des différents peuples. C’est la voie que nous tentons d’expérimenter avec notre État plurinational.

À quel type de diversité faites-vous référence ? Celle des ethnies ?

Bien évidemment ! Nous parlons de diversité culturelle, c’est un sujet absolument fondamental. Regardez ici, en France, il y a les Basques, les Bretons, les Occitans. Il y avait plusieurs cultures, plusieurs langues à l’époque. Mais la République les a détruites, par la force ! Nous pensons que la diversité est une richesse, pas un problème. C’est pourquoi nous nous efforçons de reconnaitre officiellement toutes les cultures. Il y a plus de 35 langues officielles dans notre pays, et c’est très bien comme ça !

Les gens ont bien souvent du mal à se définir eux-mêmes, alors comment votre gouvernement fait pour savoir qui appartient à telle ou telle culture ?

Je crois que l’auto-identification est fondamentale, c’est-à-dire savoir qui l’on est. Mais la question est encore plus profonde. Nous parlons ici de la modernité, telle qu’elle a été imaginée par les penseurs européens et nord-américains. Cette modernité ne sait pas intégrer la nuance et la diversité, elle considère que tout ce qui est différent est une menace. Mais qui nous soumet à cette homogénéisation ? C’est le marché ! Le capitalisme nous impose d’avoir les mêmes goûts, de penser la même chose, de vivre dans les mêmes villes, d’avoir les mêmes rêves pour nous vendre les mêmes produits. Les capitalistes veulent tous nous mettre dans le même sac et supprimer les différences territoriales, économiques ou bien culturelles.

En réalité, chaque personne a une multitude d’identités dans sa vie. Il faut les connaitre, et les faire reconnaitre. Je suis un fils devant mon père, un père devant mon fils et un ambassadeur devant vous. J’ai l’identité de mon pays, de ma région, de mon village, de ma famille. En quoi est-ce un problème ? Pourquoi devrais-je me conformer à une seule identité et nier toutes les autres ? Je pense que nous avons la capacité d’intégrer toutes ces identités dans une vision plus politique et plus systémique de la vie. Désormais, avec toutes les avancées développées en Occident comme la physique, la chimie ou la biologie, nous savons que la vie est systémique. Elle a besoin de diversité pour se développer, et non d’un seul et unique élément. C’est ce principe naturel que nous voulons respecter.

Est-ce qu’il existe des lois différentes selon son appartenance à telle ou telle ethnie ?

Non, il n’y a qu’une seule loi.

Alors quelle est la traduction concrète et institutionnelle de ce principe de diversité ?

La Constitution reconnait différents modèles économiques. Il y a l’économie étatique, qui est une force au service de notre gouvernement et de notre politique ; l’économie de marché, du secteur privé, pour faire fonctionner les entreprises, notamment étrangères. Il y a aussi l’économie coopérative et enfin, l’économie communautaire, paysanne et indigène, qui permet des échanges plus directs et plus complémentaires. Nous avons également un système pluriel au niveau institutionnel avec une autonomie départementale, régionale, municipale et indigène. Les indigènes ont leur propre conception de la notion de territoire et d’autorité et il faut respecter cela. Ces quatre autonomies ont le même pouvoir devant la Constitution, aucune ne surpasse l’autre. Elles sont également toutes en capacité de s’autogouverner, c’est-à-dire qu’elles ont toutes le pouvoir de discuter la loi.

Votre Président, Evo Morales, appartient au mouvement du socialisme révolutionnaire. Ce courant issu du marxisme s’intéresse traditionnellement aux problèmes politiques, économiques et sociaux, et non aux aspects identitaires ou ethniques. Comment votre gouvernement théorise-t-il le lien entre la question sociale et la question identitaire ?

Cela fait déjà plusieurs années que nous avons entamé cette réflexion à gauche. Nous commençons tout juste à réaliser que cette proposition marxiste qui parle des paysans du temps de la production féodale, avec l’idée que ces gens progresseront et lutteront jusqu’à l’avènement du socialisme puis du communisme, ne fonctionne pas. Cela ne correspondait pas à la réalité des classes paysannes boliviennes. Alors nous nous sommes concentrés davantage sur la Nation et les cultures que sur les classes sociales. Nous avons beaucoup travaillé sur toutes ces questions, mais ce n’est pas un terrain de débat théorique ou historique. Ce qui importe c’est la situation concrète, pas le raisonnement. La théorie doit se soumettre à la réalité, pas l’inverse.

C’est l’Occident qui a imposé la méthode du schéma mental rationnel et théorique, mais ça ne fonctionne pas pour toutes les situations. Nous préférons une logique plus expérimentale. Nous ne fonctionnons pas avec des livres, nous préférons vivre les choses directement et résoudre les problèmes à partir de cas pratiques. L’idéologie ne fait pas partie de notre culture.

L’écologie politique nous a appris qu’il existait réellement un intérêt général humain, puisque si nous ne nous occupons pas de notre Terre tous ensemble, alors nous mourrons tous ensemble. Est-ce que cela vous convainc de la pertinence de l’universalisme, ou bien pensez vous que cette notion est-elle seulement coloniale ?

 Il faut revenir aux racines des choses. Dans « universalisme » il y a « uni », c’est-à-dire l’idée d’un monde unique, sans nuances. Mais ça ne correspond pas à la situation réelle. En vérité, le monde est pluriel et divers. L’universalisme a été le moyen pour les Occidentaux et les Européens d’imposer à toutes les cultures et à toutes les sociétés leurs manières de vivre. Ils ont détruit des civilisations et nous ont raconté des histoires qui ne sont pas les nôtres. L’universalisme ne respecte pas la diversité et la réalité des droits humains. Le paradoxe « des droits de l’Homme » à l’occidentale, c’est de dire : « Je respecte tes droits uniquement si tu partages mes valeurs ». Qu’est-ce qui se passe avec les filles musulmanes ici, en France ? Pourquoi on les empêche de porter le voile à l’école ? C’est une atteinte à leur identité !

Les États-Unis veulent apaiser leurs relations avec Cuba mais dans le même temps, ils sont de plus en plus agressifs envers le Venezuela. Les sud-américains peuvent-ils faire confiance au gouvernement nord-américain dans les années à venir ?

Notre problème avec les États-Unis, c’est que leurs véritables gouvernants sont les grandes entreprises. Ils sont donc mal placés pour parler de démocratie, mais c’est leurs affaires. Quant aux nouvelles relations avec Cuba, l’important est de constater que c’est le gouvernement américain qui a changé sa position, pas le gouvernement cubain.

En 2013, le Président bolivien Evo Morales a été séquestré dans un aéroport car les Américains ont intimé aux Français du lui interdire notre espace aérien. Pourquoi François Hollande a-t-il agit de la sorte alors qu’il n’y aucun conflit d’intérêt entre nos deux pays ?

Il faut poser la question au gouvernement français. Cette honte n’est pas la nôtre, je n’ai aucune justification à apporter.

Jules Panetier

 

En espagnol

 

El 18 de diciembre 2005, Evo Morales ganó las elecciones presidenciales en la primera vuelta, con mas de 53% de los votos.
Por primera vez desde el siglo XIX, un americano nativo tiene acceso al poder en América del Sur. Este ex activista sindical y futbolista profesional ha nacionalizado la producción de hidrocarburos, ha aumentado el salario mínimo y se opone a la instalación de bases militares norteamericanas. La particularidad de ese movimiento revolucionario y socialista es que se interesa a las problemáticas identitarias y culturales.
Por eso, El Puño ha encontrado Jean-Paul Guevara, Embajador de Bolivia en Francia y sobrino-nieto del Che.
Qué cambia en ser Embajador de un pais revolucionario ?

Un Embajador debe cumplir misiones determinadas : dar visibilidad a su país, cuidar a nuestros nacionales viviendo en Francia, y fortalecer los vínculos entre los pueblos. También tengo que hacer conocer la Revolución democrática y cultural que estamos experimentado, como una proposición para el resto del mundo.

El preámbulo de la Constitución boliviana critica « el Estado colonial, republicano y neoliberal ». Porqué associar la República con el capitalismo y la colonización ?

Más que un replanteamiento, debemos superar el Estado. Afirmamos también que debemos emanciparnos del modelo republicano. No somos republicanos. La República es el fruto del Estado-nación, es una idea qui fue creada y idealizada aquí, en Francia. Estamos en contra de ese modelo importado, porque no corresponde con la realidad de la sociedad boliviana. El Estado-nación busca la homogeneización de la población, quiere que la gente piense de la misma manera, que sean idénticas. Pero sabemos que ese deseo no es sincero. Al contrario, el gobierno boliviano quiere preservar y reconocer la realidad, la origen, la dignidad y la diversidad de varios pueblos. Eso es el camino que trata de seguir nuestro Estado Unitario Social de Derecho Plurinacional Comunitario.

De qué tipo de diversidad habla ? Las etnias ?

Obviamente ! Hablamos de diversidad cultural, es un sujeto absolutamente fundamental. Aquí en Francia, se encuentra Basques, Bretons, Occitans etc. Había varias idiomas y culturas. Pero la República les destruyó, por la fuerza ! Pensamos que la diversidad es una riqueza, no un problema. Por eso tratamos reconocer oficialmente todas las culturas. Hay más de 35 idiomas oficiales en nuestro país, y todo pasa bien !

A veces, la gente tiene dificultad para definir su identidad, entoncés como hace su gobierno para saber quien pertenece a cual cultura ?

Creo que la auto-identificación es fundamental, es a decir saber quien somos. Pero la problemática es mas profunda. Hablamos aquí de la modernidad, como fue imaginada por los intelectuales europeos y norte-americanos. Esa modernidad no sabe integrar la matiz y la diversidad, considera que lo diferente es el malo. Pero qué nos somete a esa homogeneización ? El mercado ! El capitalismo nos impone haber los mismos gustos, pensar lo mismo, vivir en las mismas ciudades, haber los mismos sueños para vender los mismos productos. Los capitalistas quieren poner todo el mundo en la misma bolsa para suprimir las diferencias territoriales, económicas y culturales.

En realidad, cada persona tiene una multitud de identidades en su vida. Debemos conocerlas, y hacerles reconocer. Yo soy un hijo con mi padre, un padre con mu hijo, y un embajador con usted. Tengo la identidad de mi país, de mi región, de mi pueblo, de mi familia. Cual es el problema ? Porqué debería conformarme con una única identidad y negar las otras ? Pienso que tenemos la capacidad integrar todas esas identidades en una vision más política y más sistémica de la vida. Con el progreso en física, química y biología, sabemos ahora que la vida es sistémica. Necesita diversidad para desarrollarse. Queremos respetar ese principio natural.

Existe leyes diferentes según su pertenencia a una comunidad étnica ?

No, solo hay una ley.

Entoncés, cual es la traducción concreta y institucional de ese principio de diversidad ?

La constitución boliviana reconoce varios modelos económicos. Existe la economía estatal, que es un poder al servicio de nuestro gobierno y de nuestra política ; la economía del mercado, del sector privado, para hacer funcionar las empresas, especialmente extranjeras. También hay la economía cooperativa y la economía comunitaria, campesina y indígena, que permite intercambios más directos y complementarios. Igualmente tenemos un sistema plural al nivel institucional con una autonomía departamental, regional, municipal, y indígena. Los indígenas tienen su propio concepción de la noción de territorio y de la autoridad, y debemos respetarla. Esas cuatros autonomías tienen el mismo poder para la Constitución, no hay ninguna que supere el otra. Además tienen la capacidad autogobernarse, es a decir que pueden discutir y criticar la ley.

Su Presidente, Evo Morales, pertenece al movimiento del socialismo revolucionario. Derivado del marxismo, está interesado por las problemáticas políticas, económicas y sociales, y no por las dimensiones identitarias o étnicas.
Como su gobierno teoriza el vínculo entre la problemática social y la problemática de identidad ?

Hace algunos años que la izquierda empezó esa reflexión. A penas realizamos que la proposición marxista que hablabla de los campesinos durante el modelo feudal, con esa idea que la gente progresara y luchara hasta el advenimiento del socialismo, pues del comunismo, no funciona. Eso no correspondía con la realidad de las clases campesinas bolivianas. Entonces nos concentramos sobre el concepto de Nación y culturas, más que las clases sociales. Trabajamos mucho sobre esta problemática, pero no es un debate teórico o historico. Lo que importa es la situación concreta, no el razonamiento. La teoría debe someterse a la realidad, y no al revés.

Occidente impuso el método de esquema mental rational y teórica, pero no funciona para todas las situaciones. Preferimos una lógica más experimental. No funcionamos con libros, damos preferencia a vivir las cosas directamente y resolver las problemas desde casos prácticos. La ideología no hace parte de nuestra cultura.

La ecología política nos ha aprendido que existía realmente un interés general humano, porque si no nos ocupamos de nuestra Tierra todos juntos, vamos a morir todos juntos. Esta reflexión le persuade de la pertinencia del universalismo, o piensa que es una noción colonial ?

Debemos regresar a las orígenes del término universalismo. Hay la raíz « uni », entonces esa idea de un mundo único, sin matices. Pero no corresponde con la realidad. La verdad es que el mundo es plural y vario. El universalismo fue el medio de los Occidentales y los Europeos para imponer su modo de vida a todas las sociedades. Destruyeron civilizaciones y nos narraron historias que no son nuestras. El universalismo no respeta la diversidad y la realidad de los derechos humanos. La paradoja occidental « derechos humanos » significa « Respeto tus valores solo si compartes mis valores ». Qué pasa aquí en Francia con las mujeres musulmanes ? Porqué no pueden llevar el velo en los centros escolares ? Es una violación de su identidad !

Los Estados Unidos deseen apaciguar su vínculo con Cuba, pero al mismo tiempo, están agresivos con Venezuela. Los Sudamericanos pueden dar confianza al gobierno norteamericano en los años que siguen ?

Nuestro problema con los Estados Unidos, es que su verdadero gobierno es las grandes empresas. Están bien mal colocados para hablar de democracía, pero esto es su asunto. Lo importante en las nuevas relaciones con Cuba, es que es el gobierno americano que ha cambiado su posición, y no al revés.

En 2013, el Presidente Evo Morales fue secuestrado en un aeropuerto porque los Estados Unidos ordenaron a Francia prohibirle su espacio aéreo. Porqué François Hollande hizó eso ? No hay ninguno conflicto de interés entre nuestros países.

Debe preguntarlo al gobierno francés. Esta vergüenza es la suya, no tengo nada más que añadir.

Jules Panetier, traduction de Eva Raynal

 

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