Archives - Infos locales 18 avril 2017

Le fonctionnement opaque de l’attribution des logements chez ACM

De gauche à droite : Philippe Saurel, maire de Montpellier et président d’ACM ; Claudine Frêche, veuve de l’ancien maire Georges Frêche et directrice d’ACM ; Robert Cotte, vice-président d’ACM. (Crédit photo : Richard Lacroix)

De gauche à droite : Philippe Saurel, maire de Montpellier et président d’ACM ; Claudine Frêche, veuve de l’ancien maire Georges Frêche et directrice d’ACM ; Robert Cotte, vice-président d’ACM. (Crédit photo : Richard Lacroix)

Nombreux sont les Montpelliérains éligibles au logement social qui ne tentent même plus de déposer un dossier auprès d’ACM, le principal bailleur social de la ville. Les raisons ? Un manque de confiance généralisé envers cette structure jugée opaque, qui pousseraient certains locataires à se tourner vers le parc privé malgré leur difficultés financières. Le refus également de vivre dans des quartiers marqués par une absence de mixité sociale et ethnique, en grande partie imputable au bailleur. Dans ces deux derniers rapports datant de 2009 et 2013, la mission interministérielle d’inspection du logement social épinglait fortement ACM sur la gestion de sa commission d’attribution des logements.

ACM, office public de l’habitat de Montpellier est le principal bailleur social de la région et du département(1). Présidée par le maire omniprésent Philippe Saurel et dirigée depuis onze ans par Claudine Frêche, la veuve de l’ancien maire Georges Frêche, il gère sur le territoire de la métropole plus de 20 830 logements, logeant ainsi près de 50 000 personnes, soit 10 % de la population. À Montpellier, deuxième grande ville la plus pauvre de France(2), 70 % de la population est éligible au logement social. 15 000 personnes sont inscrites comme demandeurs. Autant dire que le sujet concerne du monde. Suffisamment en tout cas pour s’intéresser d’un peu plus près au fonctionnement relativement opaque de cette grosse machine « à vocation social ».

Des affaires de clientélisme ou d’arnaques à ACM

Sur le terrain on entend régulièrement les mêmes remarques. Certaines communautés seraient plus favorisées que d’autres. Il faudrait payer pour obtenir un logement ou monnayer quelques promesses de votes. Qu’en est-il vraiment ? Si des affaires de clientélisme ou d’arnaques ont déjà éclaboussé ACM, la direction à toujours refusé la remise en cause globale du fonctionnement de son office, évoquant, par la voix de Claudine Frêche, des « brebis galeuses »(3) rapidement sanctionnées par un licenciement.

Pour ne pas tomber dans le registre de la rumeur ou de la diffamation, le mieux est de se plonger dans les rapports de la Miilos (mission interministérielle d’inspection du logement social). Le dernier datant de 2013 pointait pour la seconde fois (le rapport précédent datait de 2009) de nombreuses anomalies ou irrégularités plus ou moins graves dans le fonctionnement d’ACM(4).

Irrégularités en matière d’attribution des logements

Parmi celles-ci on trouve des « irrégularités en matière d’attribution des logements ». L’attribution des logements est effectué par la CAL, la commission d’attribution des logements. Elle est la garante de l’égalité d’accès au logement social. La CAL se réunit tous les mois. Elle rassemble des élus, des représentants d’organismes tels que la CAF et un représentant des locataires. Pour chaque appartement disponible, la CAL aura à choisir entre trois dossiers de locataires. Problème : aucune lisibilité n’est offerte en amont

Comme l’explique, dans le documentaire Montpellier, Place de la Com’, Christophe Perrin, délégué national en Languedoc de la CIMADE ayant siégé un temps à la CAL : « En commission d’attribution, des dossiers nous sont présentés mais on ne sait pas d’où viennent ces dossier […]. Chaque agence présente un certain nombre de candidats sur un certain nombre de logements. » Comment ces dossiers sont-ils sélectionnés par les directeurs ? Mystère. Dans ses rapport la Miilos observe en 2009 et en 2013, que « le règlement intérieur de la CAL prévoit, dans son article 2, une liste de 14 catégories de ménages prioritaires. Les conditions d’application de cet article ne sont pas précisées. Aucune hiérarchisation entre les différentes catégories n’est établie, ce qui rend difficile l’utilisation opérationnelle de cette liste. »

Des critères d’urgence non hiérarchisés

Dans ces 14 catégories on trouvait mises sur un même plan, les personnes victimes de violence, les jeunes à la recherche d’un premier logement, les familles logées dans un immeuble déclaré en état de péril ou encore les candidat dont l’ancienneté des demandes est supérieure à 36 mois (soit une grande majorité des demandeurs). Autrement dit aucune possibilité de contrôler l’équité des attributions ou de faire valoir une quelconque réclamation.

Certes ces observations de la Miilos ont été effectué avant le début du mandat de Philippe Saurel, mais depuis deux ans le maire et président de la métropole a-t-il rectifié le tir ? Lui qui dans son programme promettait la justice sociale et « la lutte contre toutes les formes de discrimination notamment en matière de logement »(4). Lui qui promettait aussi en 2014 le remplacement de Claudine Frêche mais qui deux ans plus tard continue d’affirmer qu’il n’a pas trouvé « de candidat adapté au poste. »

Une nouvelle charte inopérante

En 2015, la présidence d’ACM faisait un coup de com’ et annonçait enfin un changement avec la publication d’une nouvelle charte. Une charte censée « garantir la transparence des attributions en affichant des règles claires, objectives et opposables. » Des règles prenant en compte le respect « des plafonds de ressources, de l’urgence et de la nécessité des demandes. » Très bien ! Mais qui la charte inclue-t-elle dans « l’urgence » ? Il s’agit tout d’abord des « publics reconnus prioritaires par l’État : DALO [Droit au logement opposable], personnes sortant de structures d’hébergement, ménages concernés par une opération de rénovation urbaine ».

Donc des personnes bénéficiant déjà d’un traitement prioritaire au titre de la convention d’utilité sociale, convention qui fixe entre l’État et le bailleur social les bases de sa politique patrimoniale et sociale. Puis des « personnes privées de logements […] Personnes en situation d’urgence en raison de la précarité ou de l’insalubrité […] Personnes en difficultés d’insertion sociale (structures d’hébergement, surpeuplement avéré avec un enfant mineur ou un handicap reconnu, violences conjugales ou familiales, logement non décent avec un enfant mineur ou handicap reconnu). »

Le critère de la « nécessité » quant à lui comprend « le relogement dans le cadre d’une opération de démolition-reconstruction, les situations de séparation et de décohabitation, les mutations professionnelles, la recherche d’un logement plus adapté à la composition familiale, la recherche d’un loyer plus adapté à la capacité financière de la famille, la recherche d’un premier logement pour les jeunes ménages, la recherche d’un logement adapté aux situations de vieillesse et de handicap ». Bref, allez comprendre qui passe avant qui dans tout ça puisqu’en dessous de chacune de ces listes est bien précisé : « Ces critères qui peuvent être cumulatifs, ne sont pas hiérarchisés. » L’ancienneté quant à elle, n’est prise en compte que pour « arbitrer entre des candidatures présentant des caractéristiques similaires ».

ACM hors-la-loi ?

Autrement dit ACM a certes réorganisé, ou mieux, regroupé ses critères mais sans les hiérarchiser, ne rendant pas plus claire la motivation des attributions et confortant ainsi l’opacité de son fonctionnement. La Miilos qui semble bien impuissante à faire changer les choses pourra donc relever dans un troisième rapport un nouveau manquement à la loi 441-1 du Code de l’habitat et de la construction qui fixe les critères d’attribution devant être pris en compte par les bailleurs sociaux. En plus des « critères généraux de priorité » concernant les personnes en situation d’urgence et/ou de danger, elle oblige à tenir compte du « patrimoine, de la composition, du niveau de ressources et des conditions de logement actuelles du ménage, de l’éloignement des lieux de travail et de la proximité des équipements répondant aux besoins des demandeurs. »

Certains opposeront qu’il n’est pas simple de hiérarchiser la misère. Certes mais il existe néanmoins des outils permettant de se rapprocher d’un système plus égalitaire dans l’attribution des logements et surtout plus transparent aux yeux des demandeurs.

Le « scoring » rejeté par la mairie

Le système de cotation ou « scoring » par exemple consiste à attribuer un nombre de points pour chaque critère validé. Les demandeurs cumulant le plus de points sont automatiquement dirigés vers le haut de la file d’attente. Une méthode, mise en place à Rennes dès 1998 et à Paris depuis plus de trois ans, qui permet de limiter les choix subjectifs et les éventuels passe-droits lors de la pré-sélection des dossiers en agences avant passage en commission d’attribution.

Un système loué par Philippe Saurel lors de sa campagne avant que son adjoint Robert Cotte, aujourd’hui vice-président d’ACM, ne l’évacue d’un revers de main en séance de conseil déclarant que si : « la loi ALUR nous l’impose, si la métropole le souhaite, bien sûr nous mettrons en place une cotation mais en sachant que quelque soit l’outil il peut être dévoyé. C’est moins l’outil qui est important que les conditions de rétablissement de la confiance. » Pas gagné !

Cinq attributions irrégulières

D’autant que la Miilos révèle que sur un échantillon de 300 dossiers examinés, « cinq attributions ont été effectuées en infraction par rapport aux règles en vigueur : un cas de dépassement des plafonds de ressources, deux cas pour lesquels les ménages concernés ont intégré leur logement avant la signature effective du bail et la décision de la commission d’attribution et trois cas de signature de bail avant passage en commission » Pourquoi entretenir une telle opacité générant immanquablement un sentiment d’injustice chez les demandeurs et la prolifération de rumeurs fondées ou non ? Pour Christophe Perrin, « le logement est tellement problématique de façon générale en France, on le voit bien, il y a une demande énorme, ça ne peut pas échapper à ces logiques de captation de l’électorat. C’est trop tentant pour un politique qui dispose de ce levier-là pour se maintenir au pouvoir et rester aux affaires. À un moment donné, à mon sens, c’est presque une donnée structurelle de la gestion municipale en France. »

Des logiques de captation électorale qui pourrait expliquer une autre anomalie pointée par la Miilos, à savoir « des niveaux d’impayés particulièrement élevés dans certaines résidences hébergeant des populations spécifiques » ? Le rapport précise plus loin qu’ « il s’agit de trois programmes de logements individuels (de type villas) qui accueillent des gens du voyage sédentaires. » Puis : « 32 locataires se trouvaient en situation d’impayé lors du contrôle soit 77 % de l’ensemble des locataires de ces résidences. Le montant total des impayés s’élevait lors du contrôle à 925 000€. La plupart des situations sont anciennes. L’office a décidé jusqu’à présent de ne pas engager de procédure contentieuse et/ou d’expulsion. »

« Logique de captations électorales »

ACM qui lors de la rénovation du Petit-Bard, n’a pas hésité à faire expulser un couple de retraités de 65 et 70 ans(5) , ou qui a récemment demandé l’expulsion d’un squat hébergeant 60 personnes(6) en situation précaire, fait donc l’impasse sur une dette de 925 000 € dans la communauté gitane. S’il n’est pas question ici d’incriminer une partie de la population ou d’encourager l’expulsion, il est difficile de ne pas imaginer que la gestion communautariste du logement social à Montpellier associé au fort poids électoral de cette communauté n’entrent pas en jeu dans l’histoire.

L’existence même de ces quartiers que nous avons tous pris l’habitude de désigner par les termes de « cités gitanes » ou « quartiers arabes » laisse dubitatif quand on sait qu’ils sont composés en grande majorité de logements sociaux et qu’un bailleur social à pour mission d’assurer « la mixité sociale, générationnelle, professionnelle ou culturelle dans le respect des règles de non-discrimination » comme le souligne ACM dans sa charte. Une enquête de l’État et de l’Union des bailleurs sociaux, menée à Sète et à Béziers en 2009, mais à laquelle ACM avait refusé de collaborer, avait d’ailleurs témoigné du rôle important joué par les bailleurs sociaux dans ces discriminations.

Combat pour plus de mixité dans les quartiers populaires

Depuis quelques années la colère des quartiers populaires sur Montpellier s’est cristallisée sur cette question de la mixité sociale et sur la création de « ghettos » par ACM. En témoigne le collectif des habitants de la tour d’Assas dont la population est composée à 99% de personnes d’origine maghrébine. Une tour que Georges Frêche avait surnommé en 2001, lors de l’inauguration de la ligne 1 de tramway « la tour de Ouarzazate ».

En témoigne également le combat des parents d’élèves du Petit-Bard exigeant plus de mixité sociale et ethnique dans la politique du logement mais aussi dans l’établissement de la carte scolaire. Celui de la cité Aiguelongue 1, rue Montasinos demandant en réunion publique a être traité comme les autres. En témoigne encore la lutte du collectifs de Défense du Poumon Vert Las Rébes et de l’association des Enfants de la Colline soutenu en 2016 par une ZAD. L’enjeu : empêcher la construction d’une soixantaine de logements sociaux sur le dernier espace vert d’un quartier comportant déjà 80 % de logements sociaux.

Lutte pour vivre dans des conditions décentes

Reste enfin la question des conditions de logement. Si selon les résultats d’une enquête menée par ACM(7), 84 % des locataires interrogés (l’échantillon n’est pas précisé) se déclaraient globalement satisfaits du service rendu par ACM, 46 % d’entre eux émettait un jugement défavorable quant à l’entretien des partis communes. On pourra citer comme exemple récent, là encore, la mobilisation des habitants de la Tour d’Assas qui dans un film réalisé avec les Ziconophages, intitulé Le Droit de vivre décemment, témoignent de leurs conditions de vie : ascenseurs défectueux et dangereux dans une tour de 22 étages, absence de sécurité aux fenêtres malgré plusieurs cas de défenestrations mortelles, absence de sécurité dans les parties communes, défaillance des colonnes d’eaux entraînant des déferlements répétés d’eaux usées dans les appartements, présence de cafards qu’ACM refuserait de venir traiter, moisissures, infiltrations.

Des combats qui pourraient bien faire école. À la Paillade, au Petit-Bard et dans bien d’autres quartiers, le temps du silence et de la discrétion semble bien être révolu. De plus en plus de locataires s’insurgent contre cette politique discriminante et tentent comme ils le peuvent d’organiser leurs revendications individuelles en lutte collective pour parvenir à se faire, enfin, entendre du bailleur social.

April O’Neil

Résidence ACM sur le grand mail de la Paillade.

Résidence ACM sur le grand mail de la Paillade.

(1) acmhabitat.fr/ ; (2) En proportion de sa population, Montpellier est la deuxième grande ville la plus pauvre après Marseille : inegalites.fr/spip.php?id_article=2086&page=article ; (3) youtube.com/watch?v=dKLa66r_wa4 ; (4) montpellier-journal.fr/2014/10/logement-social-la-politique-dattribution-dacm-encore-critiquee-par-la-miilos.html ; (5) Le 25 septembre 2013 ; (6) Procès en référé pour expulsion du squat l’Utopia 003 le 9 mars 2017 ; (7) Enquête citée dans le rapport de la Miilos.

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