Le prix de la vie. Témoignage de l’exil forcé d’un Afghan.

Le Poing Publié le 30 novembre 2017 à 16:16 (mis à jour le 28 février 2019 à 20:53)

Je suis né à la fin des années 1980 dans un village d’Afghanistan. Je suis musulman chiite. Pour les talibans, nous ne pratiquons pas le « vrai » islam. Pas le leur, en tout cas… Là d’où je viens, c’est une assez bonne raison pour nous ôter le droit de vivre. Lorsque j’avais 19 ans, j’ai été enlevé pour de l’argent. Durant cinq jours, j’ai été battu à en perdre connaissance, jusqu’à ce que mon père, avec l’aide des gens de mon village, réussisse à négocier ma libération. J’ai dû fuir mon village. Je suis parti pour une autre ville, j’y ai suivi des études et trouvé un travail. Mais c’était un travail pour l’État, et les talibans sont en guerre contre l’État. Je supervisais l’avancée de chantiers. Parfois un ingénieur m’accompagnait. Lors d’un déplacement, nous avons été attaqués par des talibans et l’homme qui m’accompagnait a été tué.

Plutôt fuir que mourir

J’ai voulu ramener son corps à sa famille, sauf que pour eux, je suis devenu suspect… Sa famille n’a pas accepté que je sois toujours en vie. Ils ont commencé à me menacer de mort. Les talibans continuaient de menacer tous ceux qui travaillaient pour l’État. Je bougeais beaucoup et je changeais de numéro de téléphone, mais ils continuaient de me menacer, où que j’aille. J’ai continué mon travail malgré tout. Et puis les talibans m’ont retrouvé. Ils m’ont caché le visage sous un tissu noir et m’ont séquestré. Pendant plus d’un mois, j’ai reçu des coups, tant et tant que j’ai bien cru y rester. En Afghanistan, les vies ont un prix, la mienne, elle vaut 12 000 euros. C’est la somme que mon patron a payée pour qu’ils me relâchent. Il s’est passé plus d’une semaine après le versement de la rançon avant qu’ils ne me laissent partir… J’ai essayé de travailler dans une autre province, mais les enlèvements continuaient. D’autres ingénieurs mourraient. La famille de l’ingénieur assassiné voulait ma mort et les talibans menaçaient encore de m’enlever. J’ai quitté mon travail, je me suis caché, j’ai changé mon nom, mon numéro de téléphone, plusieurs fois, mais à chaque fois, ils me retrouvaient. J’ai fait mon choix : fuir plutôt que mourir.

Au printemps 2016, j’ai quitté l’Afghanistan pour l’Iran. Mon père et mes frères vivent là-bas. Je souhaitais y rester jusqu’à ce que je comprenne que pour obtenir des papiers iraniens, il fallait aller combattre Daech en Syrie. Le gouvernement iranien n’accepte les réfugiés afghans qu’à la condition qu’ils servent sa guerre durant quatre à six mois. Je n’aime pas me battre, je ne veux pas faire la guerre. En début d’été 2016, j’ai épousé ma fiancée en Iran. Quelques jours plus tard, je suis parti pour la Turquie. J’ai laissé mon passeport et payé 1 000 euros à un contrebandier pour qu’il me conduise à pieds en Turquie. Nous avons marché dix heures pour passer la frontière. J’y suis resté trois jours de plus, le temps de trouver un passeur qui accepte, contre 3 000 euros, de nous emmener sur une petite barque avec 25 autres personnes. Nous sommes restés en mer six jours et six nuits avant d’atteindre les côtes grecques. De là, j’ai pu gagner Athènes.

Je vis dans une petite cellule, quatre mètres carrés.

En Grèce, il y a énormément de réfugiés et aucune possibilité d’avoir des papiers, encore moins du travail. Je suis resté coincé six mois dans un camp de cette ville. Je n’ai survécu que grâce à l’argent que mon frère m’a envoyé. J’ai finalement trouvé un passeur pour me conduire en Italie, à condition que je le paye 1 000 euros, encore. J’ai pris un ferry clandestinement, d’abord en me cachant dans une voiture et lorsque tous les passagers sont montés sur le pont, je me suis caché sous un camion remorque. Je me suis glissé entre la remorque et la roue de secours, j’y suis resté les quatorze heures de la traversée. J’y suis encore resté lorsque le camion est sorti du ferry, jusqu’à ce qu’il s’arrête en ville. Du sud de l’Italie, où j’avais accosté, j’ai pu prendre un train pour le nord. Je savais que le gouvernement italien ne me laisserait pas rester alors j’ai pris le train, encore, pour aller jusqu’à Paris. Pendant deux jours, j’ai dormi sous les ponts, puis au camp de la Chapelle. Trois jours après mon arrivée, la personne qui gérait le camp nous a transféré dans le sud de la France.

Depuis le début de l’année, je vis dans un centre en Occitanie, dans une cellule en préfabriqué. C’est une petite cellule, quatre mètres carrés, peut-être moins. Il y a un lit de camp, un petit frigo et une plaque pour faire la cuisine. Les sanitaires sont en préfabriqués aussi, pour le moment ça va, il ne fait pas trop froid mais en hiver, ce sera autre chose. Autour du parking, il y a du béton, de l’asphalte. Depuis cet été, j’ai le droit à 7 euros par jour pour vivre. Avant c’était moins, 6 euros environ. On ne dirait pas comme ça, mais ça fait une différence quand on doit manger, et tout le reste, avec cette somme. En fait, il n’y a pas vraiment de reste. On arrive tout juste à manger. Nous sommes nombreux à vivre ici, près d’une centaine. Nous ne venons pas tous du même endroit du monde, alors parfois, il y a des tensions. Il y a de bons moments aussi : lorsque l’un d’entre nous reçoit ses papiers, on le fête tous ensemble… Je n’ai pas revu mon épouse depuis que j’ai fuis la Turquie. Elle me manque, je pense souvent à elle. J’aimerais qu’elle me rejoigne. Mon père, mes frères, ma sœur, mes nièces me manquent aussi. J’ai des amis, au centre mais j’aimerais rencontrer d’autres personnes, avoir plus de contacts avec les habitants de cette ville, de ma ville. Mais je n’ai pas pu prendre de cours de français avant juin, puis ils se sont arrêtés en juillet et là, j’ai recommencé à la rentrée. J’espère que d’ici la fin de l’année, je saurais parler français correctement. Cet été, j’ai été reçu par l’OFPRA* pour un entretien de demande d’asile. Depuis j’attends. Je peux attendre encore entre deux et cinq mois, peut-être plus. Je souhaite rester en France. Je souhaite travailler ici, conduire un camion, peut-être ou avoir un commerce. Vivre ailleurs que dans une cellule de cinq mètres carrés. Juste vivre, en fait.

Propos recueillis et traduits par JoE la Cédille, dessin de Guinou

Note :

OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Les migrants, un business prospère