Archives - International 22 novembre 2015

Les 5 raisons de l’intervention russe en Syrie

Sgt. Jason E. Gerst, a Virginia Beach, Va., native, now a squad leader with 2nd Platoon, A Company, 2nd Battalion, 18th Infantry Regiment, 170th Infantry Brigade Combat Team, launches the RQ-11B Raven unmanned aerial vehicle during Raven training here, Oct. 5.

Le Poing, n°20 – Pour renforcer Bachar al-Assad, considéré par Moscou comme le garant du respect des intérêts russes au Moyen-Orient, Vladimir Poutine a décidé d’intervenir militairement en Syrie le 30 septembre dernier. En réaction, l’Otan a envoyé 36 000 soldats, 140 avions et 60 navires parader pendant cinq semaines en Méditerranée centrale. Après l’Ukraine, cette région va devenir un nouveau centre de tensions majeur entre les deux anciennes puissances de la guerre froide. Pour y voir plus clair, Le Poing vous propose une liste des cinq raisons pour lesquelles Vladimir Poutine a décidé d’intervenir militairement en Syrie.

1) Se protéger d’une attaque salafiste et accroître sa popularité

 À la fin du mois dernier, Vladimir Poutine a affirmé qu’il fallait « détruire les combattants sur les territoires qu’ils contrôlent et ne pas attendre qu’ils arrivent »(2). Selon les services de renseignement du Président, plus de 2 400 Russes serviraient au sein de l’Etat islamique et plusieurs milliers de mercenaires agiraient dans le Caucase et au Tadjikistan(3). L’organisation salafiste a même été jusqu’à éditer une version russe de sa « revue d’information et d’analyse » à l’intention des apprentis-djihadistes pour les inciter à se rendre en Irak ou en Syrie(4). Du côté afghan, les Talibans ont conquis le 28 septembre dernier la ville de Kunduz dans le nord du pays et l’Etat islamique ne cache pas ses intentions d’en profiter pour recruter de nouveaux soldats. Menace prise d’autant plus au sérieux que la ville est située à une cinquantaine de kilomètres d’une base militaire russe au Tadjikistan(5). En intervenant au Moyen-Orient, Vladimir Poutine cherche donc aussi à détruire le pouvoir de nuisance de Daesch en Russie. C’est un argument qu’il va sans doute surexploiter pour déguiser une intervention militaire extérieure en une opération de légitime défense. N’oublions pas que le maître du Kremlin s’est fait connaitre en réprimant les Tchétchènes et qu’il a toujours joué la carte du patriotisme exacerbé pour garder le pouvoir. L’intervention militaire participe au sentiment national et fait office d’outil politique à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Il n’y a donc aucune raison pour qu’il ne s’en serve pas pour ses propres intérêts électoraux.

2) Neutraliser les opposants « modérés » pour renforcer Bachar Al-Assad

 À la tribune des Nations-Unies, le président russe l’a promis, juré, craché : les frappes aériennes ne concerneront que des « terroristes ». Et c’est pratique, car ce mot n’a aucune signification. Qui sont les « terroristes » dans la région ? Les soldats israéliens tuant des civils palestiniens ? Les services de renseignements turcs organisant des attentats contre les Kurdes ? Les Occidentaux ayant financé l’Etat islamique par le passé pour affaiblir le pouvoir syrien ?(6) Le terrorisme est une technique de guerre utilisée par toutes les organisations armées, clandestines ou officielles, mais ce n’est en aucun cas un but politique. En reprenant à son compte le mythe de la « guerre contre le terrorisme », Vladimir Poutine brouille les cartes pour cacher ses intentions réelles et ne pas désigner son ennemi. Car en vérité, l’armée russe ne compte pas s’en prendre qu’aux mercenaires de l’Etat islamique, mais aussi à ce qu’il reste de l’opposition dite « modérée ». Nous parlons ici d’une bande d’oligarques déconnectée de la réalité du terrain, quasiment sans influence militaire et « soutenus à bout de bras par les Occidentaux, la Turquie et les pétromonarchies » selon le chercheur et spécialiste de la Syrie Fabrice Balanche(7). Les dirigeants occidentaux – Barack Obama et François Hollande en tête – se servaient de cette frange pourtant insignifiante de l’opposition pour chanter la fable médiatique selon laquelle le peuple syrien dans son ensemble souhaiterait le départ de son Président. Le Kremlin va donc très probablement neutraliser ces insurgés made in USA pour que Bachar al-Assad soit de nouveau le seul interlocuteur crédible en Syrie. Après l’avoir copieusement insulté, la gueule de bois va être rude pour les diplomates occidentaux, mais ils devront bien finir par se résoudre à lui serrer la pince. Et après tout, la paix ne peut se faire qu’entre adversaires.

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3) Conserver la base navale de Tartous, la seule porte d’entrée russe au Moyen-Orient

 La Russie dispose depuis 1971 d’une installation navale à Tartous, second port syrien situé sur la côté méditerranéenne à environ 160 kilomètres au nord-ouest de la capitale Damas et à 30 kilomètres au nord de la frontière libanaise. Le personnel militaire russe l’a évacué en 2013 pour des raisons de sécurité mais depuis le printemps 2015, ce dépôt naval a repris une importance stratégique(8). L’armée syrienne a connu de sérieux revers face aux assauts de l’Etat islamique entre mars et avril dernier et n’est plus en capacité d’assurer la sûreté de Lattaquié. Cette ville abrite le plus important port syrien et une base aérienne permettant aux Russes d’acheminer du matériel militaire.

Autrement dit, si Bachar al-Assad perd le contrôle de Lattaquié, alors Vladimir Poutine perd celui de Tartous. Ce port est le seul point de ravitaillement de la marine russe en mer Méditerranée et l’unique porte d’entrée militaire vers le Moyen-Orient. Moscou n’abandonnerait pour rien au monde cette forteresse et c’est pour éviter ce scénario catastrophe que la présence militaire russe y a été renforcée.

4) S’imposer comme une puissance incontournable au Moyen-Orient

 Après avoir déstabilisé l’Afghanistan, pillé l’Irak et détruit la Libye(9) – ces guerres étant largement responsables des conflits actuels – l’armée américaine pensait sûrement pouvoir transformer l’essai en Syrie et s’accaparer les multiples ressources de la région. C’était sans compter sur l’authentique soutien populaire envers Bachar al-Assad et la fidélité de ses alliés russes et iraniens.

La réaction virulente de Vladimir Poutine au coup d’Etat pro-occidental de 2013 en Ukraine était une manière d’avertir l’administration américaine et leurs alliés que le temps de la passivité est fini. Désormais, la Russie répondra à chacun des coups de pression occidentaux exercée contre ses intérêts en « faisant monter la tension sécuritaire d’un cran sur le terrain, contraignant les [Etats-Unis] à mesurer les risques de choc frontal associés à ses manœuvres »(10) comme l’analyse l’universitaire et journaliste Caroline Galactéros. Le 14 octobre dernier, un pilote de chasse américain s’est retrouvé à moins de trois kilomètres de son homologue russe dans la province d’Alep(11). Aucun accrochage n’est à signaler mais l’incident révèle que les occasions de s’écharper vont se multiplier en Syrie. Une manière de rappeler à François Hollande qu’il est préférable d’avoir les reins solides avant de s’enliser dans ce bourbier.

 En somme, ce que Vladimir Poutine veut faire comprendre au monde entier par son intervention armée, c’est que le Moyen-Orient n’est pas une propriété occidentale. Quiconque s’y aventurerait sans en rendre-compte au Kremlin s’y mordrait les doigts. Pour mieux s’implanter dans la région, la Russie s’est même intégrée à un groupe de coordination militaire avec l’Iran, l’Irak et la Syrie(12) – preuve qu’il existe une certaine convergence d’intérêts entre ces Nations. La Chine semble aussi timidement s’intéresser à l’affaire, même si une multitude d’informations contradictoires circulent à ce sujet. Selon le site d’information israélien DebkaFiles, Pékin aurait envoyé des pilotes au-dessus du Canal de Suez pour préparer le convoi de leur porte-avions Liaoning vers la base navale russe de Tartous en Syrie. Le ministère des affaires étrangères chinois a démenti la présence du navire, mais pas la mission de reconnaissance aérienne(13). Difficile de connaître la vérité, mais on peut tout de même constater qu’il n’est désormais plus possible de penser la géopolitique moyen-orientale sans s’intéresser à l’axe Moscou-Pékin.

5) Profiter des ressources gazières de la région  

 Les grandes puissances n’ont pas de principes, elles n’ont que des intérêts. Il y a fort à parier que Vladimir Poutine se laisse, lui aussi, tenter par les impressionnantes réserves gazières de la Méditerranée orientale. « Les enjeux énergétiques en arrière-plan de ces grandes manœuvres ne doivent pas être oubliés car, comme toujours, les grilles de lecture économiques du conflit, soigneusement éludées par les acteurs, sont en fait premières », nous rappelle la spécialiste Caroline Galactéros(14).

Les Occidentaux rêvent de construire un pipeline permettant d’acheminer le gaz qatari et israélien vers le Vieux continent pour casser le monopole gazier russe en Europe et libérer la Turquie de sa dépendance au gaz iranien. De son côté, Téhéran, Bagdad et Damas envisagent de faire traverser un gazoduc iranien à travers l’Irak pour déboucher en Syrie(15).

 Le Kremlin a donc tout intérêt à contrôler Bachar al-Assad pour mieux le contraindre d’offrir à la Russie de belles places lors des négociations à venir en souvenir des loyaux services rendus.

Jules Panetier

(1) « La Russie mène ses premières frappes en Syrie », France 24, 30 septembre 2015. (2) « Que visaient les premières frappes russes en Syrie », Le Monde, 30 septembre 2015. (3) « Intervention militaire russe en Syrie : comment les Russes perçoivent-ils l’Etat islamique ? », Le Huffington Post, 6 octobre 2015. (4) « L’EI compte plus de 2 000 russes dans ses rangs », Le Monde, le 17 juin 2015. (5) Voir la troisième référence. (6) « Rebel Arms Flow Is Said to Benefit Jihadts in Syria », New York Times, 14 octobre 2012. (7) « Syrie : les dessous de l’intervention russe », Causeur, le 6 octobre 2015. (8) « Syrie : pourquoi la Russie renforce son aide à Bachar Al-Assad », Blog La Croix, le 8 septembre 2015. (9) « 162 000 Irakiens tués depuis l’invasion américaine de 2003 », Le Monde, 2 janvier 2012. « La Libye en plein chaos : fallait-il raiment renverser Kadhafi ? », Le Nouvel Obs, 5 août 2014. (10) « L’armée russe en Syrie, un chien dans un jeu de quilles », Le Point, 11 septembre 2015. (11) « Syrie : un chasseur russe s’approche à moins de 3 km d’un appareil américain », L’Express, le 14 octobre 2015. (12) « Etat islamique : l’Irak se coordonne avec l’Iran, la Russie et la Syrie », Les Echos, 27 septembre 2015. (13) « Les médias à la recherche… d’un porte-avions chinois en Syrie », Sputnik, 28 septembre 2015. (14) « Syrie : les enjeux cachés de l’intervention russe », Le Point, 15 octobre 2015. (15) « Syrie : le trajet des gazoducs qataris décide des zones de combat ! », Mondialisation.ca, 15 novembre 2012.

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