Marx, penseur de l’anarchisme

Le Poing Publié le 2 mars 2018 à 19:02 (mis à jour le 28 février 2019 à 19:44)

Dans l’imaginaire collectif, le marxisme est rattaché à une idéologie poussiéreuse de l’histoire, gangrénée par le stalinisme et l’autoritarisme. Se cantonner à cette vision, c’est faire l’impasse sur un courant fondamental du marxisme : l’anarcho-communisme, également appelé communisme libertaire. Après les naufrages du léninisme et de la social-démocratie, il s’avère pertinent de s’intéresser aux rapports à la fois compliqués, mais très intéressants, entre le marxisme et l’anarchisme.

Anarchisme individualiste versus anarcho-communisme

En 1840, Pierre-Joseph Proudhon est le premier théoricien social à se référer explicitement à l’anarchisme. Rapidement, deux courants majeurs se sont constitués : l’anarchisme individualiste, basé sur la liberté de l’individu, partisan de la propagande par le fait (terrorisme, sabotage, boycott) et de la vie en communauté utopique, avec des pratiques notamment libertines et végétariennes ; et l’anarcho-communisme, ou communisme libertaire, selon lequel la liberté n’a de sens qu’au sein d’un mouvement collectif des exploités contre les capitalistes et l’État. Historiquement, la majorité du mouvement anarchiste a été anarcho-communiste, avec des versions syndicales, l’anarcho-syndicalisme, qui envisage la réalisation de l’anarchie à travers l’existence d’une fédération de communes qui géreraient de manière autogérée la société en partant des luttes des exploités. Les anarchos-communistes ont notamment joué un rôle fondamental dans l’essor de la Confédération Générale du Travail (CGT), forte de plusieurs centaines de milliers d’adhérents et alors partisane d’un syndicalisme révolutionnaire ; dans la révolution russe de 1917 ou bien encore dans la révolution espagnole de 1936.

Un mouvement anarchiste influencé par Marx

L’historiographie classique insiste fortement sur les querelles au sein de la première internationale (coordination internationale des travailleurs) entre le théoricien anarchiste Mikhaïl Bakounine et Karl Marx, représentant d’un communisme « classique » et d’une partie de la social-démocratie, mais dans les faits, les divergences n’étaient pas si profondes. Bakounine dénonçait la vision autoritaire de Marx mais partageait sans réserve ses analyses sur le fonctionnement du capitalisme et l’importance de la lutte des classes. Les anarchos-communistes ont d’ailleurs largement contribué à diffuser la pensée marxiste au sein du mouvement ouvrier, à la différence des anarchistes individualistes.

Divergences stratégiques

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les insurrections étaient régulières et le mouvement ouvrier a élaboré différentes stratégies. Trois courants principaux ont fini par émerger :
– La social-démocratie, qui cherche à établir un compromis avec la bourgeoisie pour obtenir une meilleure répartition des richesses et une amélioration des conditions de travail.
– Le léninisme, issu des écrits du théoricien communiste Vladimir Ilitch Lénine, selon lequel les masses seraient « naturellement » sociales-démocrates et qu’elles devraient donc être guidées par une avant-garde éclairée, rassemblée au sein d’un parti révolutionnaire dont le but serait d’imposer la dictature du prolériat, qui serait la seule capable de lutter efficacement contre la répression des contre-révolutionnaires.
– L’anarcho-communisme, qui refuse à la fois la dictature du prolétariat et la compromission avec le capital, et qui pose la question de l’auto-organisation et de la fédération en communes.

Les léninistes n’ont pas le monopole du marxisme

L’émergence de l’Union soviétique a imposé l’idée selon laquelle le léninisme serait en quelques sortes « l’enfant naturel » du marxisme, mais c’est une vision partielle et partiale de l’histoire comme l’a démontré le marxologue Maximilien Rubel dans son ouvrage Marx, théoricien de l’anarchisme, publié en 1983. Il a notamment constaté que Marx n’a employé que deux fois l’expression de dictature du prolétariat, et que ce n’est donc pas une notion qui est au coeur du marxisme. Concernant la question de l’État, si Marx a bel et bien écrit que le prolétariat devrait construire un État « transitoire » pour mieux lutter contre la bourgeoisie, et avec comme but final de détruire l’État, il a également reconnu que durant l’insurrection de la Commune de Paris, le prolétariat a directement fait disparaître l’État, sans passer par une étape de transition, et que c’est une leçon de l’histoire fondamentale. La Commune de Paris a d’ailleurs fortement influencé le communisme de conseils, ou conseillisme, selon lequel le parti est un frein à la révolution et que le communisme se réalise par l’organisation des exploités à la base, dans des assemblées où règne la démocratie directe. C’est une pensée qui a notamment été développée par Rosa Luxemburg et mis en pratique par les spartakistes allemands et les premiers soviets, notamment ceux des marins de Kronstadt.

L’anarcho-communisme, une pensée d’actualité

Aujourd’hui, presque plus personne ne se réclame du léninisme, dont on retient surtout qu’il a mené à la création de l’Union soviétique, c’est-à-dire d’un régime de capitalisme d’État autoritaire. Les sociaux-démocrates ont quant à eux abandonné depuis longtemps leurs ambitions révolutionnaires et sont partie prenantes du système capitaliste. Même à l’extrême-gauche, la grille d’analyse marxiste est parfois délaissée au profit d’une pensée individualiste selon laquelle il suffirait de consommer d’une manière plus éthique pour changer le système. De son côté, l’anarcho-communisme est toujours présent, ancré dans les luttes sociales, et sa grille d’analyse demeure un outil puissant pour comprendre les évolutions du capitalisme. Refuser le compromis avec les capitalistes, rejeter ceux qui prétendent être une avant-garde et s’organiser à la base, au sein d’assemblées où règne la démocratie directe est une méthode d’action révolutionnaire toujours d’actualité pour renverser le capitalisme et viser l’émancipation de toutes et tous.

Article issu d’une conférence organisée le 1er février à Montpellier par Alternative libertaire 34

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