Archives - International 29 janvier 2016

Espagne : ¿ No Podemos ?

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Une brèche s’est ouverte en Espagne à l’occasion des législatives de décembre dernier. Certes, les conservateurs du PP restent la première force (29%) et les sociaux-libéraux du PSOE résistent (22%), mais ces deux partis traditionnels se partageant le pouvoir depuis plus de 40 ans sont en chute constante. Une transition à mettre au profit de Podemos (20%), dont le jeune leader Pablo Iglesias a rapidement su convaincre de la nécessité de régénérer un système politique verrouillé et corrompu. Une stratégie si efficace qu’elle a rapidement été copiée par Ciudadanos (14%), une formation de centre-droit. Largement perçue comme une force révolutionnaire, Podemos est pourtant loin de vouloir renverser la table. Pour en savoir plus, Le Poing s’est fait payer le café par François Ralle Andreoli, conseiller consulaire vivant à Madrid.

Aucune force politique n’est en capacité de former un gouvernement, doit-on s’attendre à l’émergence d’une grande coalition nationale entre le PP et le PSOE ?

Chaque acteur a des intérêts différents, le Parlement est très fragmenté et aucune solution ne semble émerger. On pensait à un scénario portugais (union des gauches radicales et sociales-démocrates, ndlr), et on se retrouve davantage avec un scénario italien, avec une grande instabilité parlementaire. Le PSOE serait intéressé pour faire alliance avec Podemos, mais ce dernier n’a pas intérêt à s’allier avec un parti qu’il n’a cessé de déclarer comme membre de la caste. Le PP a soit intérêt à s’allier avec Ciudadanos, sorte d’allié indirect, qui fait semblant de s’attaquer au PP mais qui en réalité l’a soutenu partout, y compris à  Madrid où ils sont très corrompus, mais même dans ce cas de figure, il manque encore des voix pour atteindre la majorité absolue. Le PP peut aussi miser sur l’instabilité pour apparaître comme la force qui rassure. Podemos aussi peut être tenté de miser sur le pourrissement de la situation, car c’est ce qui a permis à Syriza en Grèce de liquider le Pasok (équivalent du PS, ndlr). Aucun scénario ne s’impose, chacun va jouer ses cartes.

Comment expliquer le succès particulier de Podemos en Catalogne et au Pays Basque ?  

La force de Pablo Iglesias, c’est qu’il propose de renouveler le pacte national en jouant sur la fierté de la patrie, mais une patrie plurinationale. C’était un pari très risqué. Il faut se rappeler que Podemos a clôs sa campagne à Valence, et non à Madrid, en invitant à la tribune des interlocuteurs s’adressant en catalan et en valencien, alors même que l’écrasante majorité des Espagnols ne parlent que le castillan. Cette vision de la patrie plurielle a bien été reçue chez les nationalistes séparatistes. Et c’est une vision d’une patrie universaliste, ancrée dans une tradition républicaine, même s’il n’en prononce pas le mot. L’idée, c’est qu’il faut relancer un projet constituant pour ré-articuler la diversité des peuples espagnols en leur donnant la parole.

Le Premier ministre grec Alexis Tsipras a capitulé devant Angela Merkel et mène une politique néolibérale. Pourtant, Pablo Iglesias a déclaré qu’il « ne pourra pas faire beaucoup plus que lui ». N’est-ce pas hypocrite pour un parti s’appelant Podemos (‘‘Nous pouvons’’), que de déclarer ne pas pouvoir changer le système ?

C’est la grande question. Alexis Tsipras a été menotté parce que ses adversaires savaient que l’Espagne venait derrière, et ils voulaient tout de suite briser le mouvement contestataire. Pablo Iglesias a été marqué par le traitement terrible de la Grèce. Le gouvernement hellénique avait le choix de soumettre son pays au chaos bancaire, abandonner le pouvoir aux gangsters corrompus, ou rester au pouvoir et accepter les conditions néo-coloniales d’Angela Merkel. Ils ont choisi de rester au pouvoir pour gérer eux-mêmes l’austérité, en espérant pouvoir gagner du temps et jouer sur les zones d’ombre du traité. Ce n’est pas un discours révolutionnaire, certes. Pablo Iglesias sait qu’il subira le même traitement, même s’il fait le pari que l’Espagne dispose de plus de marges de manœuvres car elle n’a pas le même niveau de dettes et est plus forte sur le plan économique.

Pourquoi Podemos n’a-t-il pas acté le fait qu’il est impossible de mener une autre politique au sein de l’Union européenne et avec l’euro et qu’il fallait donc se préparer à en sortir ?

La question monétaire est complexe, le gouvernement grec a considéré qu’une fois sorti de l’euro, ils auraient continué à subir l’austérité. En Espagne, la question de l’euro n’est pas vécue comme une question primordiale et Podemos s’adresse toujours d’abord à son électorat, car son objectif est de conquérir le pouvoir. Il aurait peut-être fallu faire une pédagogie très forte, mais cela n’a pas été jugé nécessaire.

Le secrétaire général de Podemos a déclaré qu’il fallait « respecter jusqu’à la dernière virgule » les accords de l’Espagne avec l’Otan et Pablo Iglesias a assuré qu’en cas de victoire, il nommerait le général José Julio Rodriguez comme ministre de la Défense, ancien chef de l’Etat-major espagnol ayant planifié le bombardement de la Libye. Podemos s’est-il converti à l’atlantisme ?

Encore une fois, ce revirement est dû à l’expérience d’Alexis Tsipras. Ce dernier avait cherché à bousculer l’ordre géopolitique en tentant d’obtenir des soutiens auprès de la Russie et de la Chine, mais ça n’a pas donné de résultat. Pablo Iglesias n’a pas envie de se retrouver sous les foudres de la France, de l’Allemagne et des Etats-Unis. Dire pour autant qu’il est devenu le suppôt de l’impérialisme yankee n’est pas correct car il a largement analysé et combattu les interventions américaines durant ses discours. Concernant le général, cela prouve que cette nouvelle gauche sait casser les barrières et rassurer un électorat « socialiste » en montrant qu’elle est capable de nommer des personnes considérées par la société comme solvables. José Julio Rodriguez ne met pas en avant ses frappes en Libye comme son plus haut fait de guerre, et il a fait amende honorable sur son passé. La ligne internationale de Podemos sur la question des frappes en Syrie a été très claire, ils s’y sont opposés constamment.

Pourquoi on entend peu Podemos sur l’écologie quand on sait que le modèle de croissance espagnole est basé sur l’agriculture intensive et le béton ?

En France, les partis de gauche ont compris que la transformation sociale n’avait pas de sens sans transformation écologique. En Espagne, ce lien n’a pas été clairement établi, mais j’ai été surpris de la « verdisation » du discours de Podemos ces derniers temps. À la base c’est un parti clairement keynésien, où l’on mise sur la relance de la consommation, mais ce discours a largement été remis en question. D’abord, les principales forces écologiques du pays ont rejoint Podemos, et quand on demande à Pablo Iglesias de citer deux mesures d’urgence, il répond : l’arrêt des expulsions locatives et la transition énergétique. Il a répété pendant toute la campagne que l’avenir de l’Espagne passerait forcément par un changement de modèle, notamment énergique, à partir duquel on pourrait créer une croissance différente que celle du low-cost ou du boom immobilier. Des progrès énormes ont été réalisés, mais c’est vrai qu’il s’agit d’un modèle keynésien, ou social-démocrate, de relance de l’activité par la consommation.

Que fera Podemos s’il ne gagne pas rapidement les élections ?

Je pense malheureusement qu’il fera un pacte avec les sociaux-libéraux du PSOE.

 

Jules Panetier

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