Rassemblement #metoo à Montpellier

Le Poing Publié le 29 octobre 2017 à 20:06 (mis à jour le 28 février 2019 à 22:24)

Le 5 octobre 2017, une enquête du New York Times révèle l’affaire Weinstein. Dans le milieu du spectacle industriel, des témoignages sont diffusés progressivement concernant des pratiques de harcèlements sexuels, de viols, et de violences patriarcales graves. Des témoignages qui confirment que l’affaire Weinstein n’est pas un « cas isolé », et qui dévoilent des structures patriarcales dures au sein de cette sphère sociale, mais même plus globalement, au sein de la société moderne et marchande en général. Toujours le 5 octobre 2017, l’avocate anglo-saxonne Sophia Cannon lance le hashtag #MyHarveyWeinstein. Le 13 octobre, la journaliste Sandra Muller lance l’alerte #balancetonporc. Le 15 octobre, l’actrice Alyssa Milano lance l’appel #Metoo, et les témoignages commencent à déferler sur Internet. Non simplement les stars, mais aussi des personnes anonymes ayant subi des abus sexuels graves, ou des harcèlements, témoignent massivement sur Internet. Elles dévoilent des structures masculinistes fermement implantées socialement, et des situations trop fréquentes dans lesquelles les agresseurs agissent de façon impunie, et sans que cela soit su.

La honte doit changer de camp

Le 19 octobre, Carol Galland lance un appel, « Metoo dans la vraie vie », pour le 29 octobre. Il s’agit de porter les témoignages des femmes et hommes ayant subi ces violences sur la place publique. En France, le 25 octobre, des rassemblements se sont déroulés à Dijon et Rennes. Le 26 octobre, à Nantes, et le 28 à Nice. Le 29 octobre, des rassemblements étaient prévus à Paris, Amiens, Lille, Besançon, Lyon, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille. A Montpellier, le 25 octobre, un rassemblement #balancetonporc s’est déjà déroulé devant le palais de justice. Des femmes ont écrit sur des affiches les faits de violences patriarcales graves qu’elles subissent au quotidien, et ont dénoncé le fait que ces paroles restent encore trop systématiquement un « non-lieu », juridiquement et socialement parlant. Une intervenante, ce 25 octobre, a eu ces mots fermes et univoques :

« Aujourd’hui on a voulu faire une première action symbolique suite à la prise de parole massive sur les réseaux sociaux la dernière semaine C’est une première action spontanée suite aux récits qui nous sautent aux visages et qu’on ne connait pourtant que trop bien. Ces récits qu’on nous a maintes fois racontés dans des discussions entre amies et auxquels on n’avait pas souvent su répondre, avec toujours cette sensation que c’étaient aux femmes seules de porter le poids de ces récits, avec souvent un sentiment de honte. Depuis plusieurs années, il y a une prise de conscience particulière là-dessus et nous, le groupe qui s’est réuni de manière très informelle, ça nous paraissait très important sur ces questions de prendre la parole dans l’espace public, d’essayer de faire que la honte change de camp, qu’on ne soit plus de côté de celles qui subissent et qui n’ont pas le droit de répondre, et que de l’autre côté, il y ait des personnes qui soient les alliées des femmes sur ces questions, et non les alliés des oppresseurs et des agresseurs. Il faut prendre la parole des femmes en compte, il faut accepter leurs discours, les soutenir, même si ça doit créer des difficultés dans les familles et dans les groupes d’amis. Ce n’est pas aux femmes de porter le poids de ce qu’elles subissent au quotidien. »

Le viol est un arbre qui cache la forêt

En ce 29 octobre, le rassemblement #Metoo, qui était un rassemblement mixte, était grave et digne. Des témoignages de femmes et d’hommes ont été entendus. La fontaine des « trois grâces » était recouverte par une banderole « #Metoo ». Nous restituons l’essentiel des cinq premières interventions.

Intervenante 1 : On va écouter celles et ceux qui vont nous raconter une histoire, une histoire de la vraie vie, comme on l’a fait sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Ce déferlement de témoignages est complètement bouleversant. Il est bouleversant de se rendre compte que vraiment cela nous est à toutes arrivé, mais c’est arrivé à beaucoup d’hommes aussi. C’est peut-être encore plus difficile pour les hommes d’en parler. J’aimerais qu’il n’y ait pas du tout d’applaudissements. Quoi qu’il se dise. Si vous voulez applaudir, il y a des gestes. On va faire le cercle, et encourager celles et ceux qui veulent témoigner. Il faut vraiment beaucoup de courage pour témoigner.

Intervenant 2 : Merci d’être tous là présents, femmes, hommes. C’est très rare. On m’a cassé le col du fémur. Heureusement qu’il y avait mes ami-e-s, qui étaient là, présents. Il faut tous être bienveillants. Bientôt j’aurai une autre opération. Merci à tous d’être venus.

Intervenante 3 : Je voulais dire que ce cri qu’on vient de pousser, j’aurais dû le crier il y a tellement, tellement longtemps. A 12 ans, dans la famille. On me force, attouchements sexuels. J’ai passé longtemps à me taire. A rien dire. Premier mec chouette que j’ai rencontré, je l’ai épousé. A partir de là, ça a été son père. Son père qui m’a harcelée pendant des années. J’ai rien dit encore. Y’avait sa mère, son frère, ses sœurs. Un jour il s’est attaqué à ma fille, à sa propre petite-fille ; ça a été horrible. Là j’ai hurlé quand même, on a réussi à faire quelque chose. Elle a mis un an à parler, un an. Parce qu’elle avait des petites sœurs, parce qu’elle avait des cousines. Mais on n’a jamais pu donner les détails, ni elle ni moi. Un jour, c’est ma troisième fille, vous vous rendez compte ? Je ne suis pas une famille « en marge », ni rien ni quoi que ce soit. Pourtant. Trois filles sur quatre, c’est terrible hein ? Son père les emmène à la piscine, les deux petites. Une de mes filles. Trois gars qui l’entourent, et qui la violent. Avec les doigts. L’horreur. Elle arrive à s’échapper, prévient son père. Il choppe les gamins et arrive à les expulser de la piscine, c’est tout. Il comprend pas. Il les ramène, et il dit : « elle a été embêtée par des garçons ». C’est tout. Ma fille me dit : « Maman, Papa t’a dit ? » J’ai dit : « oui, il m’a dit, tu t’en es bien sortie ma fille. » Mais j’ai pas su. Elle commence à grandir. Et là, il n’y a rien qui va, rien qui marche. L’horreur. Elle a rien dit. Elle me hurle dessus : « Maman, pourquoi t’as rien fait pour moi ? » Je lui dis : « Mais qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce qui s’est passé ? » Et là elle me raconte. Elle me raconte tout. Tout. Je découvre l’horreur. Du viol. 12 ans. J’ai pas su. J’ai pas su aider ma fille, j’ai rien su faire. Et j’ai pas su parce que je pouvais même pas parler pour moi. Sa grande sœur ne pouvait pas parler non plus. Et ce « Metoo », qui a déferlé ces dernières semaines pour libérer la parole, on en a parlé ma fille et moi, ma grande et moi. Je suis devenue folle. « Pendant des années, vous avez vécu ça et vous ne me l’avez pas dit ? » Les filles, arrêtez de vous taire, parce que si vous vous taisez, vous leur donnez l’impunité à ces mecs. Trois personnes qui nous ont agressées, combien ont été punis ? Aucun. Mon ex-beau-frère fait sa petite vie tout tranquille. Mon beau-père a fait sa petite vie. Les gars de la piscine ont simplement dû sortir de la piscine. C’est pas nous qui devons avoir honte. Tout ce que je peux vous dire, c’est : arrêtez de vous taire.

Intervenante 4 : De 4 à 12 ans. A 18 ans. A 20 ans. Alors évidemment y a un moment où je me demande : « c’est quoi le problème avec moi ? » Ca se répète. C’est pas possible, ça se répète. On ne sait jamais à quel moment l’abus a commencé. On a peur de sur-réagir. Ce que je veux dire avec ça, c’est que la limite, c’est nous qui la fixons. Après ça, le tout c’est de se reconstruire, on ne peut pas être victime de sa propre vie, parce qu’être victime, c’est pas une vie qu’on a forcément envie d’avoir. Alors tous sont évidemment impunis aujourd’hui. Tous vivent leur vie normalement. Et moi j’ai toujours peur la nuit. On est beaucoup plus nombreux et beaucoup plus nombreuses que celles et ceux qui sont là aujourd’hui. Le viol et l’abus sexuel est un arbre qui cache la forêt. Il y a beaucoup de choses dont on parle pas. Quand on se retrouve dans ces situations et qu’on sait pas réagir, qu’on sait pas dire stop, c’est qu’on a pas pu en parler. Donc à vos enfant, et aux petites, aux petites filles, aux petits garçons, il faut peut-être très très vite leur dire que leur corps leur appartient, que personne n’a le droit de faire des remarques, que personne n’a le droit de leur dire de faire quelque chose qu’ils ne veulent pas, qu’on peut faire un bisou, mais que quand on n’a pas envie de le faire, on a le droit de pas le faire, et que ça peut commencer très très tôt. Une fois encore, la limite c’est nous qui la fixons.

Intervenante 5 : J’avais 9 ans. Une soirée entre amis, chez mes parents. Trop arrosée. Les années 70, la drogue, l’alcool. On me couche dans une chambre, normal, en attendant que mes parents fassent la fête. Et là mes parents s’éloignent et la porte s’ouvre. Et rentrent deux prédateurs. Ils ont failli me tuer. Pour étouffer mes cris. Au bout d’un moment, quand je suis revenue à moi, parce que je suis tombée dans les pommes, ils ont failli me tuer, heureusement la compagne de l’un d’entre eux est entrée dans la pièce. Heureusement et malheureusement à la fois. Heureusement, parce qu’elle m’a sauvé la vie. Malheureusement, parce que j’ai connu une vie de douleur. Je suis contente d’être là aujourd’hui. Que tout ça puisse enfin sortir. Le docteur Muriel Salmona en a très bien parlé. C’est un docteur qui travaille sur le traumatisme. La mémoire n’enregistre pas, mais le corps enregistre. Ces souvenirs, je les ai traînés dans mon corps, avec une vie où je comprenais rien. Je me suis trouvée souvent dans une situation proche du viol. Par contre j’ai une force physique, j’ai pratiqué les arts martiaux, donc j’ai jamais été violée à nouveau. A un moment donné, c’est aux hommes d’avoir une éducation, et qu’ils comprennent. Que eux les posent, les limites.

Le capitalisme est fondamentalement patriarcal

Aujourd’hui, ces témoignages nécessaires brisent un silence devenu assourdissant. Les structures patriarcales de la société moderne apparaissent très explicitement. Socialement, les femmes sont traditionnellement exclues de la sphère de la valorisation nationale. Elles sont d’abord assignées au travail domestique, dans la sphère privée, et réduites à une fonction de gestatrices. Elles sont ainsi réifiées, économiquement, socialement et juridiquement, par un ordre masculiniste étouffant. Les faits de violence subis par ces personnes ayant témoigné, et par les autres, sont à chaque fois des cas spécifiques, mais ils révèlent les structures sexistes plus générales de notre société, qui imprègnent la famille, la justice, l’école, et même les ordres ambivalents du « soin ». Des structures patriarcales fortement enracinées dans d’autres pays, comme en Inde, en Arabie Saoudite, ou dans d’autres pays du monde, restent en outre à dévoiler progressivement, au sein de cette dynamique émancipatrice, par laquelle la honte devra bien changer de camp. Le patriarcat n’a pas de frontières, et n’est pas une spécificité propre à un « territoire » donné, mais traverse hélas tous les pays et toutes les époques. On peut constater néanmoins qu’il est susceptible de se barbariser tendanciellement dans notre modernité, lorsqu’il devient proprement fonctionnel et amoral (calculant).

Le sentiment d’impunité, et l’impunité effective des agresseurs, systématiquement relevés dans les témoignages, dévoilent une société, une justice, et une éducation structurellement patriarcales, et donc structurellement injustes, asociales et négationnistes. Ces rassemblements publics entendent bien faire cesser ces aberrations.

Benoît Bohy-Bunel

La Collective 34, collectif féministe et non-mixte de Montpellier, n’a pas participé à ce rassemblement et s’en explique :

Billet d’humeur :Pourquoi nous ne participerons pas à la marche événementielle du 29 octobre à Montpellier

Les témoignages lus sur les réseaux sociaux ces derniers temps démontrent une fois de plus la nécessité que la parole des femmes ayant subi harcèlements et violences se libère. Le hashtag « Balance ton porc » a fait office de catalyseur de cette parole. Que des femmes puissent enfin prendre la parole sur les réseaux sociaux est courageux, comme dans la « vraie vie », parce que les commentaires qui fleurissent face à ces témoignages sont purement dégueulasses, et les lire n’a rien de réjouissant.

Avec le nouvel hashtag « me too », certainEs cherchent à porter ces témoignages « dans l’espace public, dans la rue, devant le Palais de Justice, là où ils ne sont ni écoutés, ni entendus, ni pris en compte ». C’est le cas de cellEs qui ont participéEs à l’événement « Balancetonporc #MoiAussi – Rendez-vous au Palais de Justice », organisé par le GIF Groupe Informel Féministe le 24 novembre. CertainEs d’entre nous ont pu s’y rendre.

D’autres poursuivent ce même but mais à des fins « apolitiques ». Cette terminologie nous pose problème et par conséquent, l’événement MeToo dans la vraie vie – Montpellier, diffusé par la woman’s march, aussi. Comment considérer qu’un événement mixte, pacifique, où les gens seront vêtus de blanc est « apolitique » ?

La revendication de la mixité comme celle de la non-mixité est une expression politique. La non-mixité évite notamment, dans ce genre de situations, que des femmes ayant vécu harcèlement et violence se retrouvent dans le même cortège que leur agresseur. Si même cela n’est pas compris, qu’a-t-il été entendu des témoignages sur la toile ?

Que signifie le mot pacifique dans cette situation ? Qu’il ne faut pas répondre à la violence par la violence ? Faut-il tendre l’autre joue habillée de blanc ? Ces références judéo-chrétiennes, chapes de plomb que des femmes essaient de mettre à bas depuis des générations, sont véritablement malvenues.

Ce dernier appel est finalement, en effet, très inscrit dans la « vraie vie », à l’image d’une société majoritairement basée sur l’apparence, la confusion politique, et une nouvelle forme de communication « en marche », qui n’engage surtout en rien. Il n’aurait plus manqué que ce soit une marche silencieuse juste au moment même où des milliers de femmes refusent de se taire…

La réponse du gouvernement a le même reflet. Elle est démagogique. L’annonce d’un plan pour lutter contre le harcèlement de rue dans les transports en commun, alors que les tribunaux, relais s’il en est d’une société de classe et patriarcale, ne répondent déjà en rien aux harcèlements au travail, aux violences conjugales, homophobes, lesbophobes, transphobes et intersexes, aux viols ou tentatives de viol perpétrés en France toutes les 9 minutes.

Elle est cynique à travers les ordonnances Macron qui mettent en place des espaces facilitant le harcèlement au travail (voir notre tract « Loi travail, double peine pour les femmes »).

Mais nous savons déjà que l’on nous rétorquera qu’en ne participant pas à tel un moment de communion de la société française envers les femmes, nous divisons cet énorme élan.

C’est bizarre mais en dehors de ces événements nous voyons peu de gens lutter au quotidien et sur le long terme au sujet des questions féministes, pour construire de véritables rapports de force politiques, seuls capables de mettre à bas la société capitaliste et patriarcale.

Nous réaffirmons que pour que la honte change de camp, nous avons besoin de traduire politiquement et dans la rue nos aspirations, d’élaborer nous-mêmes nos revendications. Rendez-vous à l’assemblée en mixité choisie (femmes*, transboys, tapettes) qui se tiendra le mardi 7 novembre à 19h30 à la librairie la Mauvaise Réputation (20 rue terral) pour préparer une marche de nuit non-mixte le 24 novembre au soir contre les violences faites aux femmes*, aux transboys et aux tapettes.

*personnes ayant un vécu social de femmes

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