Violences conjugales : vers qui se tourner quand les institutions ne réagissent pas ?

Le Poing Publié le 1 octobre 2018 à 15:41 (mis à jour le 21 octobre 2018 à 19:03)

Un fait divers particulièrement marquant avait permis, cet été, de médiatiser la question des violences conjugales. Dans le département des Hauts-de-Seine, une femme de 37 ans, mère de deux jeunes filles, a reçu un commandement de quitter les lieux. La raison ? Régulièrement battue par son compagnon, les voisins s’étaient plaints du bruit au bailleur – le tribunal d’instance de Colombes ayant ensuite ordonné l’expulsion du domicile(1). Cette situation avait poussé Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, a critiqué la procédure lancée par le bailleur, mais également l’attitude des voisins, déclarant que « la société tout entière doit se ressaisir et agir solidairement », car « ne pas réagir quand on est informé de violences conjugales, c’est de la non-assistance à personne en danger ». Elle avait également rappelé qu’en France, une femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint.(2) Se pose alors la question de la responsabilité : après l’agresseur, qui du bailleur, des voisins ou du juge en porte la plus grande partie ?

« La police a refusé d’intervenir »

La réactivité du voisinage dans de tels cas peut-elle pallier l’insuffisance des services sociaux ? Pour apporter un élément de réponse, revenons sur un cas similaire, survenu dans un quartier proche du centre-ville de Montpellier à la même période. X, mère de trois enfants en bas âge, est battue par son ex-mari alcoolique : les voisins interviennent à plusieurs reprises. « Je suis intervenu quatre fois pour empêcher mon voisin de frapper son ex-femme, dont une fois où il était avec trois autres personnes, et deux fois où il avait un couteau de cuisine et un marteau » témoigne un voisin. La police s’en mêle. « La dernière fois que ça s’est produit, la BAC (brigade anti-criminalité, ndlr) est venue et ne l’a pas embarqué, alors qu’une autre équipe de la police était déjà passée dans la journée. » Les fonctionnaires de police disent qu’ils ne peuvent rien faire, malgré les rappels des faits de violence répétés et l’ordonnance du juge précisant que l’ex-mari n’est plus domicilié à cette adresse. Les membres de la BAC s’inquiètent qu’il n’ait plus accès à « son domicile ». Les violences reprennent : « Un autre soir, l’ex-mari est revenu fracturer la porte, cambrioler la maison, et détruire les installations d’eau et d’électricité. La police a été prévenue de nouveau mais a refusé d’intervenir. »

Justice muette

Après s’être interposée suite à l’agression au marteau, une voisine décide d’accompagner la victime porter plainte. Malgré un récit précis des faits, la voisine précise que « la plainte n’a pas été enregistrée, faute de certificat médical prouvant des violences physiques ». Les policiers vont jusqu’à dire à la plaignante qu’elle doit rentrer chez elle et qu’en cas de récidive… « elle n’a qu’à appeler la police. » « La police, elle, nous avait dit de porter plainte ! » rappelle la voisine, « on nous renvoie dans un endroit où potentiellement on va se faire agresser ». En effet, l’ex-mari rôde toujours dans l’immeuble. Le policier entendant la plaignante finit par lui souhaiter… « bon courage ». Les voisins s’organisent pour héberger en urgence la victime, profondément choquée par la situation. Lorsque l’ex-mari revient, le standardiste de la police répond qu’il ne peut plus rien faire pour eux. À la même période, un rendez-vous est alors pris avec le juge pour fixer les modalités de la garde des enfants. « Aucune mesure de protection n’est prise, et le juge fixe un droit de visite égal pour elle et lui », complète le voisin, qui assiste la victime dans ses démarches administratives.

Services sociaux dépassés

Faute de réaction de la part des services de police et de justice, la voie associative semble le seul recours. Un assistant social proche des voisins indique que le centre d’information sur les droits des femmes et des familles de l’Hérault (CIDFF) pourrait aider à gérer la situation. Les voisins s’y rendent, expliquant la situation, notamment la destruction de l’appartement et le risque de récidive. Un hébergement d’urgence est demandé. Concernant la plainte, « une membre de l’association nous a dit qu’il fallait passer directement par le procureur en lui écrivant une lettre. On n’a pas eu plus d’informations sur la forme à prendre. Elle a également dit que X devait contacter un avocat, et que pour l’hébergement d’urgence, il fallait contacter le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ». Mais finalement, aucune aide concrète n’a été apportée, « on est reparti comme ça, avec un rendez-vous pour la semaine suivante. Ça n’avait pas de sens vu l’urgence ! » précise la voisine. L’assistante sociale s’occupant de la famille reste quant à elle totalement injoignable. L’appel au CHRS ne donne rien – le centre ne s’occupant pas de l’hébergement d’urgence – et renvoie… vers l’assistante sociale.

Après avoir réussi à la joindre et lui expliquer la situation, celle-ci indique qu’elle cherchera un hébergement mais demande aux voisins s’ils ne peuvent pas s’en occuper eux-mêmes. Ces derniers insistent, rappellent plusieurs fois, soulignent le « danger de mort imminent si elle reste chez elle ». L’assistante sociale répond qu’« en même temps, on appelle un vendredi soir, une veille de week-end. Comme si on avait choisi que ça arrive à ce moment ! » Malgré les démarches effectuées, X ne reçoit jamais d’hébergement d’urgence et l’assistante sociale finit par lui demander de retourner vivre chez elle. Elle a donc vécu plusieurs jours de plus dans un appartement sans eau ni électricité, et avec une porte fracturée. Elle doit son salut à ses voisins, des amis et au départ de l’ex-mari. À ce jour, elle n’a toujours pas de logement. Sa plainte n’a été enregistrée qu’une semaine plus tard, et seulement pour « cambriolage ». Aux voisins acceptant de témoigner, on indique qu’ils seront contactés « d’ici quatre à six mois ». Une absence de réactivité en décalage total avec le discours officiel de Marlène Schiappa, et qui vient tristement nous rappeler qu’en France, en 2018, quand on est victime de violences conjugales, on ne peut certainement pas compter sur la police – potentiellement nocive – ni avec certitude sur les services sociaux – largement débordés par la situation.

Sources :

(1) « Femme battue menacée d’expulsion : Marlène Schiappa “exige des explications” », Europe 1 – Le JDD, 14 août 2018.
(2) « Violences conjugales : Marlène Schiappa réagit à l’expulsion d’une femme battue », RTL, 14 août 2018.

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