Parcoursup : une catastrophe si prévisible

Le Poing Publié le 17 septembre 2018 à 13:16 (mis à jour le 21 octobre 2018 à 19:04)

Manifestation contre Parcoursup et la loi orientation et réussite des étudiants (ORE), le 22 mars 2018 à Montpellier.

Au printemps dernier, de nombreuses facultés ont été bloquées par les étudiants, notamment à Montpellier, pour dénoncer la nouvelle plateforme d’accès à l’enseignement supérieur – Parcoursup – accusée d’introduire davantage de sélection sociale dans l’enseignement supérieur. De son côté, la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, promettait dès mars qu’« aucun candidat à l’université ne recevra un non ».* La rentrée scolaire est l’occasion de déterminer qui avait raison. Le Poing a confronté les analyses d’un chercheur au centre national de la recherche scientifique (CNRS), disponible, dès avril, sur le site de l’observatoire de la sélection universitaire, aux chiffres disponibles sur la situation des candidats inscrits sur Parcoursup. Le constat est sans appel : les recalés se comptent par dizaines de milliers.

Comment ça marche ?

Parcoursup est une application web, mise en place en 2018 dans le cadre de la loi orientation et réussite des étudiants (ORE), destinée à recueillir et trier les vœux d’affectation de ceux qui aspirent à intégrer l’enseignement supérieur public, et qui vient en remplacement du système d’admission post-bac (APB). Son fonctionnement est le suivant, accrochez-vous bien. Ceux qui aspirent à devenir étudiant font jusqu’à vingt vœux, non hiérarchisés selon leurs préférences. Ensuite, les formations classent les candidats selon certains critères : l’établissement d’origine (au détriment, de fait, des quartiers populaires)(1), les « attendus » (capacités acquises grâce à des activités extrascolaires, la plupart du temps payantes), série de bac, et notes en première et terminale. Le logiciel trace automatiquement un trait au niveau des capacités d’accueil de la formation, et les candidats classés au-dessus reçoivent une réponse affirmative. Les autres sont « en attente ». Une troisième réponse possible, le « oui, si », regroupe les acceptations conditionnées, par exemple, à des cours ou une année de licence supplémentaire. En fonction des réponses des étudiants aux filières qui leur ont dit « oui », la ligne peut descendre, et les « en attente » deviennent alors des « oui ».

Pas de justification obligatoire pour les refus de vœux

Pour ceux qui sont refusés partout, ou en attente sur tous leurs vœux, la commission d’accès à l’enseignement supérieur peut-être saisie, sous réserve toutefois d’être prêt à accepter n’importe quelle offre de formation proposée par le rectorat. Si celle-ci se déroule en dehors de l’académie, il est possible de débloquer auprès du même rectorat une bourse à la mobilité, dont le montant est compris entre 200 et 1 000 euros.(2) Les candidats ne reçoivent aucune justification pour les refus de vœux sur Parcoursup, mais l’administration française étant légalement tenue de justifier tout refus ayant trait à l’une de ses procédures, les candidats ont un mois à compter de la notification de refus pour demander à la formation de motiver cette décision administrative,(3) et deux mois pour la contester.(4) L’union nationale des étudiants de France (UNEF), l’union nationale lycéenne (UNL), la fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) et le syndicat des avocats de France (SAF) ont mis à disposition une plateforme d’aide juridique en ligne, sos-inscription.fr, destinée à faciliter des démarches peu accessibles au commun des mortels, le but affiché étant de créer un contentieux juridique de masse.

Plus de 39 000 candidats « inactifs »

Le 6 septembre, Frédérique Vidal se félicitait qu’il n’y ait qu’un peu moins de 3 000 candidats sans aucune affectation,(5) puis le 14, elle avançait le chiffre de 2500.(6) Au 5 septembre, le tableau de bord officiel des indicateurs de Parcoursup faisait pourtant état de 3 674 anciens lycéens fraîchement diplômés sans affectation et le chiffre s’élevait à 7 745 si l’on compte ceux qui ont eu le bac avant 2018. Selon ce même tableau de bord, 181 757 personnes sont désinscrites de la plateforme (sont inclus dans cette catégorie ceux qui ont échoué aux épreuves du bac), et 39 513 candidats sont considérés comme inactifs. Pourquoi ces candidats ont-ils abandonné la procédure en cours de route ? Gageons que certains aient préféré opter pour une entrée immédiate sur le marché du travail, ou pour une des nombreuses formations dans le privé non représentées sur la plateforme, mais combien d’entre eux ont abandonné à cause du découragement suscité par la complexité de la procédure et du stress provoqué par les dates tardives de certains résultats ?

Lenteur prévisible

En novembre 2017, une audition publique – réunissant des représentants de la conférence des présidents d’université et de la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle – avait déjà parfaitement anticipé « le côté anxiogène des réponses apportées au fil de l’eau », « une explosion des files d’attente » et une « injustice face aux logements étudiants, les bons candidats disposant de davantage de temps pour trouver des logements ». Cette audition rappelait que si sur APB les lycéens classaient leurs vœux, l’algorithme simulait quand même automatiquement les désistements, et une seule réponse apparaissait en fin de processus. Le passage aux désistements manuels du système Parcoursup était assimilé à un risque d’engorgement fréquent des serveurs, ce qui s’est effectivement produit. Parcoursup était donc contesté en interne par ceux-là mêmes qui tentent aujourd’hui de nous convaincre de son efficacité. Et ces préoccupations rejoignent celles de beaucoup de syndicalistes, qui ont pourtant parfois été durement sanctionnés pour leur implication dans le mouvement social du printemps dernier.(7)

« Beaucoup de mes élèves ont été laissés sur le carreau »

Daniel Bresson, délégué syndical à la confédération générale du travail (CGT) Éduc’action 34 et enseignant en classe de terminale professionnelle au lycée Mermoz de Montpellier, dresse un bilan catastrophique de la situation : « À Mermoz, durant tout le mois de juillet, les listes de vœux étaient pleines, la procédure totalement engorgée. Puis en septembre, il y a eu une vague de désengagements, ce qui a amené beaucoup de désorganisation et des réponses très tardives. Pour ce qui est de la capacité du nouveau système à offrir aux élèves les études de leur choix, on n’y est pas encore… Sur mes deux classes de bac pro énergétique, seul un élève a pu entrer dans un BTS correspondant. » Même constat chez sa collègue Valérie Lagon, syndiquée elle aussi à la CGT : « c’est beaucoup plus compliqué que l’an dernier, car les élèves ont attendu le dernier moment pour faire leurs vœux. Le “Oui, si” a bloqué le système. Beaucoup de jeunes se sont retrouvés sans rien. En bac pro, seul le meilleur de chaque classe a été pris dans une formation qui l’intéressait. Et beaucoup des élèves de nos filières ont été laissés sur le carreau, car la communication du lycée leur a fait croire que tout était possible. Alors que dans le même temps, la mention de l’établissement d’origine dans les dossiers accessibles aux formations supérieures a très certainement joué contre eux. Ils sont nombreux à avoir reçu des réponses négatives à tous leurs vœux. » Le constat est plus mitigé pour Sylvie Polinière, elle aussi déléguée au même syndicat et enseignante en filière bâtiment : « Mes élèves ont reçu un taux acceptable de réponses positives pour des vœux bien classés dans leur liste, la plupart en BTS. Mais nous sommes surtout inquiets pour l’avenir, puisque maintenant, les options choisies par les élèves dès la seconde déterminent grandement la suite, ce qui nécessiterait des embauches massives de conseillers d’orientation. » Ce qui n’est pas vraiment à l’ordre du jour, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ayant annoncé la suppression de 2 000 postes dans l’éducation nationale dès 2019.(8)

Filières professionnelles et technologiques à l’abandon

Toutes les filières ne sont pas touchées de la même manière par la sélection universitaire : au 5 septembre, les trois quarts des bacheliers recalés par Parcoursup venaient de filières professionnelles ou technologiques.(9) Pour Pascal Vivier, secrétaire général du syndicat national de l’enseignement technique action autonome Force ouvrière (SNETAA-FO), syndicat majoritaire dans l’enseignement professionnel, « 60% des bacheliers pro veulent continuer leurs études pour trouver un meilleur poste et être mieux payés. Mais comme les titulaires d’un bac pro ne sont pas prioritaires à l’université, ils se tournent vers les BTS, au nombre de places limitées. Et l’ouverture de 2 000 places en BTS pour cette rentrée ne suffit clairement pas à absorber cette tendance. »(10)

Insuffisances budgétaires

Le gouvernement a certes annoncé la création de 10 000 nouvelles places dans l’enseignement supérieur, qui viennent s’ajouter aux 21 000 futures places supplémentaires déjà ajoutées sur Parcoursup,(11) mais pour jauger de l’efficacité d’une telle mesure en terme de qualité d’enseignement, il faut la comparer au budget consacré à l’enseignement supérieur. Avec une hausse du nombre de candidatures de 6,8% sur l’ensemble du territoire,(12) le budget 2018-2019 ne sera lui augmenté que de 500 millions d’euros (alloué à la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur), soit une hausse de seulement 1,8 % par rapport au budget de l’année précédente. Notons tout de même qu’avant le mouvement social contre la loi ORE, le document budgétaire préparatoire de janvier 2018 prévoyait un budget de seulement 200 millions d’euros.(13)

Une communication orwellienne

Le ministère de Frédérique Vidal se distingue par une stratégie de communication particulièrement mensongère et tronquée. Un des axes de celle-ci consiste à comparer la nouvelle plateforme avec l’ancienne, APB, pour mettre en valeur les avantages de la nouvelle réforme. Mais la comparaison n’est pas forcément à l’avantage de Parcoursup : « au bout de 103 jours de procédure, nous avons 63% d’affectation définitive avec Parcoursup, alors que nous avions 61% dès le premier jour des résultats d’APB » rappelle Hervé Christofol, secrétaire général du syndicat national de l’enseignement supérieur – fédération syndicale unitaire (SNESUP-FSU).(14) Par ailleurs, à l’heure où la majorité des académies jouent la carte de l’opacité, celle de Lyon a accepté de communiquer un chiffre officiel : cette académie, qui regroupe 7% des effectifs universitaires, compte 3 000 places vacantes. Problème : Frédérique Vidal parle quant à elle de 127 000 places vacantes, la plupart dans des formations très spécialisées et géographiquement isolées. L’académie de Lyon devrait donc compter 9 000 places vacantes (7% de 127 000), et non 3 000.(15) Soit les chiffres du ministère sont tronqués, soit le taux d’occupation des places en enseignement supérieur est particulièrement élevé dans l’académie de Lyon, ce qui semble peu vraisemblable.

Vers un nouveau printemps étudiant ?

Dès les premiers jours de la rentrée, le lycée Malherbe de Caen a été bloqué, et des lycéens ont manifesté à Laval, avec le soutien d’enseignants syndiqués.(16) Pour ce qui est des universités, des assemblées générales se sont tenues autour de la question des sans-facs à Lyon et Nanterre, déjà impliquées dans le mouvement contre la loi ORE. À Montpellier, après 3 mois de blocage, l’université Paul Valéry semble vouloir reprendre du service. Le syndicat Solidaires Étudiant·e·s a tenu toute cette semaine des tables sur le campus pour récolter les dossiers de personnes sans affectation, et une assemblée générale est d’ores et déjà prévue pour le 3 octobre, quelques jours avant la journée de mobilisation interprofessionnelle du 9 à laquelle les étudiants devraient également participer.

Julien

Sources :

* « Frédérique Vidal : “Aucun candidat à l’université ne recevra un +non+2018” », Libération, 18 mars .
(1) « Les lycéens de banlieue mis “en attente” par Parcoursup », L’Humanité, 4 juin 2018.
(2) « Aide pour bachelier acceptant une mobilité géographique », Site officiel de l’administration française, 12 juillet 2018.
(3) Article D612-1-14 du Code de l’éducation
(4) « Parcoursup : candidats refusés, quelles pistes juridique s’offrent à vous ? », L’Étudiant, 4 septembre 2018.
(5) « Parcoursup: Frédérique Vidal annonce 3 000 bacheliers “sans affectation” », Bfm Tv, 6 septembre 2018.
(6) « VIDEO. Parcoursup : “Un peu moins de 2 500” candidats sont encore sans affectation, annonce la ministre de l’Enseignement supérieur », France Info, 14 septembre 2018.
(7) « Nantes : un prof de fac écarté après une action étudiante », Libération, 2 juillet 2018.
(8) « Jusqu’à 2 000 suppressions de postes dans l’éducation national dès 2019 », Rtl, 16 septembre 2018.
(9) « Parcoursup : pourquoi les bacs pro sont encore les grands perdants », Le Parisien, 10 septembre 2018.
(10) « Les naufragés de Parcoursup », La Croix, 5 septembre 2018.
(11) « Parcoursup 2018 : la création de 10 000 places suffira-t-elle à répondre aux demandes ? », Le Monde, 5 juillet 2018.
(12) « Parcoursup : +12,6 de vœux dans l’académie de Montpellier », La Gazette live de Montpellier, 16 mars 2018.
(13) « Projet de budget : une hausse de 1,8% pour l’Enseignement supérieur », L’Étudiant, 13 juillet 2018.
(14) « Parcoursup : des premiers bilans diamétralement opposés », Europe 1, 12 septembre 2018.
(15) « Parcoursup : quel impact ? », Le Progrès, 14 septembre 2018.
(16) « Caen: Deux jours après la rentrée, le lycée Malherbe déjà bloqué », France 3 Normandie, 5 septembre 2018. / « Laval. Des étudiants manifestent contre Parcoursup », Ouest-France, 5 septembre 2018.

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